Gérer un lieu d’enfouissement technique est une opération complexe. Le fait d’entreposer en un même endroit les matières jugées comme indésirables par la population comporte nécessairement son lot de risques, que l’on s’intéresse à l’environnement ou au bien-être des populations environnantes. Le recouvrement journalier est une des obligations réglementaires qui vise à atténuer certains de ces risques. Il consiste à apposer, à la fin de chaque journée d’exploitation d’un site, une certaine quantité de matières respectant les critères du Règlement sur l’enfouissement et l’incinération de matières résiduelles (REIMR).
Plus précisément, ce sont les articles 41 et 42 du REIMR qui dictent les normes à respecter pour le recouvrement journalier. On y précise que le recouvrement journalier vise spécifiquement à limiter les odeurs associées aux matières enfouies, la propagation d’éventuels incendies, la présence d’animaux et d’insectes et l’envol de déchets légers qui pourraient être emportés par le vent. Plusieurs types de matières peuvent être utilisées comme recouvrement; le REIMR fait explicitement référence à des sols, mais toute matière respectant les critères et permettant d’atteindre les objectifs est admissible. Ainsi, ce sont souvent des sols faiblement contaminés, des rejets de centre de tri ou des résidus de déchiquetage d’automobiles non métalliques (fluff) qui sont employés pour le recouvrement journalier. On comprendra qu’il existe peu d’autres débouchés pour ces matières autres que l’élimination.
Quels enjeux pour le recouvrement?
Bien que la réglementation en cours au Québec oblige les sites d’enfouissement à avoir recours au recouvrement journalier, elle ne spécifie pas pour autant des quantités exactes de matériaux de recouvrement qui doivent être utilisées. Le recouvrement doit être suffisant pour éviter les nuisances visées par le règlement. Il peut toutefois être aussi important que le souhaite l’exploitant d’un lieu d’enfouissement. Ce dernier élément pourrait poser problème pour trois raisons.
Premièrement, comme évoqué plus haut, les matières utilisées comme recouvrement sont généralement assimilables à des résidus ultimes. Ils sont valorisables quasi uniquement par le biais de pratiques de décyclage (downcycling), où des matières sont valorisées pour un usage de moindre valeur que leur utilisation initiale. Ainsi, on peut raisonnablement avancer que, si les matières utilisées comme matériaux de recouvrement n’étaient pas admissibles pour cet usage, elles seraient probablement majoritairement éliminées.
Deuxièmement, le recouvrement utilisé de manière abusive pourrait réduire la durée de vie des sites d’enfouissement. Effectivement, lorsqu’un projet de site d’enfouissement est autorisé par le gouvernement, il lui est associé un tonnage maximal de matières qui peuvent être éliminées chaque année et un volume maximal total pour l’ensemble de la durée de vie du site. Par exemple, le dernier décret permettant l’agrandissement du LET de Sainte-Sophie autorise l’enfouissement d’un million de tonnes métriques de matières résiduelles par année et un volume total de 18,6 millions de mètres cubes pour toute la phase d’agrandissement.
Le recouvrement interagit de manière particulière avec ces deux limites; il n’est pas comptabilisé dans l’atteinte de la limite de tonnage annuel d’un site, mais il est considéré dans la limite de volume du site pris dans son ensemble. Ainsi, un LET qui enfouit des quantités correspondant à sa limite annuelle exprimée en masse et qui a recours abondamment au recouvrement pourrait atteindre plus tôt qu’anticipé son volume maximal de matières. Ce faisant, la durée de vie du site en question serait réduite. Ce genre de pratique pourrait également représenter une source de revenu supplémentaire pour les exploitants, ces derniers pouvant facturer pour davantage de matières que s’ils limitaient le recouvrement aux critères du règlement.
Troisièmement, il y a des avantages financiers pour les générateurs à ce que les matières dont ils souhaitent disposer soient considérées comme des matériaux de recouvrement plutôt que comme des résidus voués à l’élimination. Il faut savoir qu’au Québec, pour toute matière éliminée, une redevance à l’élimination est perçue. Cette redevance vise à favoriser le détournement des matières résiduelles de l’élimination en augmentant artificiellement le prix de l’enfouissement et de l’incinération. Le montant collecté par le gouvernement est ensuite redistribué aux municipalités ayant envoyé proportionnellement moins de matières à l’élimination, ce qui ajoute un incitatif supplémentaire au détournement. La redevance à l’élimination était de 34 $/tonne métrique en 2025 et elle augmente de 2$/ tonne métrique chaque année.
Les matériaux de recouvrement journalier utilisés par les lieux d’enfouissement technique (LET) ne sont pas pleinement assujettis à la redevance à l’élimination. En fait, depuis 2023, ils font l’objet d’une redevance partielle à l’élimination, dont le coût est établi au tiers du montant de la redevance à l’élimination régulière. Avant 2023, aucune redevance n’était appliquée aux matériaux de recouvrement d’un LET. Il est donc moins coûteux pour un générateur de disposer de matières comme matériel de recouvrement (si elles sont admissibles à cet usage) que de les éliminer.
Lorsque combinés, l’absence de limite annuelle de quantité des matières utilisées comme recouvrement, la difficulté de valoriser ces mêmes matières et le faible coût du recouvrement comparativement à l’élimination pour les générateurs pourraient être problématiques. Effectivement, ces facteurs pourraient mener à de l’« enfouissement déguisé ». On pourrait désigner ainsi les cas où des matières sont utilisées comme recouvrement principalement pour permettre au générateur d’en disposer à moindre coût. On pourrait également utiliser cette expression en référence aux exploitants qui utilisent plus de recouvrement que nécessaire pour disposer d’un tonnage de matières allant au-delà de leur limite annuelle.
Sources de données sur le recouvrement au Québec
Afin d’étudier les pratiques de recouvrement journalier, nous avons eu recours à deux ensembles de données. Le premier est un inventaire du tonnage total des matières éliminées et des matières utilisées comme matériau de recouvrement journalier dans l’ensemble des lieux d’élimination de la province pour l’année 2019. Ces données ont été déposées par le ministère de l’Environnement dans le cadre des audiences génériques du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) sur l’état des lieux et la gestion des résidus ultimes.
Bien que ces données datent quelque peu, elles constituent, à notre connaissance, le recensement le plus complet et le plus récent des pratiques de recouvrement des lieux d’enfouissement du Québec diffusé publiquement. Nous notons également que les chiffres datent d’avant la pandémie de covid-19, un événement qui a modifié de manière importante, mais circonscrite la réalité du secteur de la gestion des matières résiduelles. En ce sens, nous sommes d’avis que ce recensement est probablement plus représentatif de la réalité actuelle que s’il avait été réalisé en 2020 ou en 2021, par exemple. Toutefois, le recensement a été effectué avant l’entrée en vigueur de la redevance partielle à l’élimination pour les matériaux de recouvrement. On peut donc s’attendre à une prépondérance de l’utilisation de matériaux de recouvrement pour la période étudiée comparativement à la suite de la mise en place de la redevance partielle.
Le second ensemble de données est un inventaire longitudinal détaillé pour la période 2021-2024 pour le Complexe Enviro-connexions (CEC), soit le plus gros lieu d’enfouissement technique (LET) de la province. Il s’agit du LET de Lachenaie à Terrebonne. Les données proviennent de documents publiés dans le cadre de la reddition de compte faite au comité de vigilance du site.
Ces données ne peuvent pas être généralisées à l’ensemble des sites de la province, mais elles ont l’avantage d’être rapportées de manière systématique pour chaque mois et sur une période récente. Nous croyons qu’il aurait été pertinent de comparer la réalité du LET de Lachenaie à celle des autres grands sites de la province. Néanmoins, CEC est le seul exploitant parmi les plus gros sites de la province à systématiquement afficher de manière publique et chiffrée la manière dont le recouvrement journalier est utilisé sur son site. Nous croyons qu’il serait souhaitable que ce niveau de transparence soit égalé par les autres LET de la province. Une obligation de publication de ces données pourrait être imposée par le gouvernement.
Un fichier avec les données complètes est disponible dans le pôle d’information du FCQGED. On y retrouve également de l’information sur la présence de lieux d’élimination au Québec, sur la capacité d’enfouissement des grands sites du Québec, et sur les ententes entre les LET privés et leur municipalité et MRC hôtes.
→ Téléchargez les données sur le recouvrement journalier au Québec
Données provinciales
En commençant avec les données provinciales, nous avons calculé un ratio de recouvrement qui correspond à la proportion de matières utilisées comme matériaux de recouvrement sur l’ensemble des matières enfouies sur le site excluant le recouvrement. Ainsi, si un site affiche un ratio de recouvrement de 50%, c’est que pour chaque tonne de matières éliminées, une demi-tonne de matière est utilisée comme matériau de recouvrement.
Nous avons également identifié les LET qui pourraient être considérés comme des « mégasites » d’enfouissement. La notion de mégasite n’est pas une désignation officielle au Québec. Elle vise plutôt à décrire une réalité observable dans la planification de la gestion des matières résiduelles de la province où une poignée de sites effectuent la majorité des activités d’élimination. Cette configuration génère quelques grands sites qui accueillent des quantités de matières résiduelles très élevées comparativement à la majorité des sites à vocation locale ou régionale. Cette capacité d’élimination s’accompagne aussi généralement d’un large territoire de desserte. Comme l’appellation de mégasite n’est pas officiellement reconnue, il n’y a pas de barème clair à partir duquel un site se voit coller cette étiquette. Pour les fins de notre analyse exploratoire, nous avons défini un mégasite comme un site d’enfouissement ayant une capacité annuelle supérieure à 400 000 tonnes métriques.
Les données permettent de constater que le ratio de recouvrement moyen des quantités enfouies dans des LET à l’échelle du Québec pour l’année étudiée est de 42%. Cette mesure est toutefois largement influencée par le poids des mégasites. En effet, on constate que le ratio de recouvrement pour les mégasites uniquement est de 46% alors qu’il se situe plutôt à 26% si on s’intéresse uniquement aux matières enfouies dans des LET qui ne franchissent pas la barre des 400 000 tonnes métriques par année. Toujours en s’intéressant aux mégasites, on constate que les plus hauts ratios de recouvrement étaient associés au LET de Saint-Nicéphore et de Sainte-Sophie, chacun ayant un ratio de 59%. Le ratio de recouvrement le plus bas parmi les mégasites était celui de Dépôt Rive-Nord avec un ratio de 19%. Pour l’ensemble des LET, le ratio de recouvrement le plus élevé se chiffrait à 108% et le plus bas à 3%.
Nous notons au passage que le ratio de recouvrement que nous notons à l’échelle de la province pour 2019 varie de la valeur rapportée dans le Bilan 2019 de gestion des matières résiduelles de RECYC-QUÉBEC. En effet, pour cette année, en utilisant un principe semblable pour calculer le ratio de recouvrement, la société d’État obtient une valeur de 49%, soit 7% de plus que ce qui est indiqué par notre calcul. Il est possible que cet écart soit attribuable aux quantités utilisées par RECYC-QUÉBEC pour les matières enfouies qui excluent le recouvrement, mais aussi les boues. On retiendra que nos calculs semblent sous-estimer le ratio de recouvrement et que sa prévalence est donc probablement plus élevée dans les faits.
Quelles conclusions peut-on tirer de ces données? Il est intéressant de constater une très grande variabilité dans les ratios de recouvrement des LET de la province. Chaque site fait face à des facteurs qui lui sont propres. On pourra penser à l’emplacement géographique à la proximité de la population ou de certaines espèces fauniques et à la quantité de matières reçues, par exemple. En ce sens, il n’aurait pas été étonnant d’observer de légères variations entre les ratios de recouvrement. Or, il est difficile d’imaginer un élément visé par le Règlement qui expliquerait un écart aussi important entre les différents sites.
En prenant un cas extrême de la série, il est d’autant plus difficile d’envisager une explication technique qui permettrait de justifier le fait d’avoir plus de recouvrement que de matières enfouies dans un LET. Les cas les plus choquants à ce niveau sont deux lieux d’enfouissement en tranchée (LEET) qui ont des pratiques de recouvrement hors norme. En 2019, le LEET Mont-Wright avait enfoui 746 tonnes métriques de matières résiduelles qu’il avait recouvertes de 14 388 tonnes métriques de recouvrement, ce qui correspondait à un ratio de recouvrement de 1929%. Le LEET Propriété Éléonore, quant à lui, n’avait mis que 1 179 tonnes de recouvrement sur son site pour la même année. Tant ces cas extrêmes que la variabilité générale des ratios de recouvrement des LET semblent mettre à mal l’idée selon laquelle les exploitants de sites d’enfouissement limitent le recours au recouvrement journalier à ce qui est strictement nécessaire pour limiter les nuisances.
Données longitudinales
En nous penchant ensuite sur les données de recouvrement longitudinales de CEC, nous avons utilisé le même calcul pour le ratio de recouvrement du site. Il est possible que le ratio final ne soit pas entièrement comparable à ce qui est décrit dans les données provinciales de 2019, puisque nous ignorons la méthode de calcul du tonnage enfoui de chaque source. Le plus important pour nos fins est que les données de CEC soient comparables d’une année à l’autre, ce qui semble être le cas.
L’année ayant le plus haut ratio de recouvrement moyen est 2021 une valeur de 63%. Le ratio de recouvrement moyen le plus bas correspond au ratio de 49% de l’année 2024. Pour ce qui est des mois, janvier 2021 est celui pour lequel le ratio de recouvrement a été le plus haut, s’élevant à 82%. À l’inverse, le ratio le plus bas a été observé en avril 2023, se chiffrant à 29%.

Nous dégageons deux principaux constats de cet ensemble de données. Premièrement, il y a une tendance constante de déclin du recours au recouvrement pour le site sur la période étudiée. Le déclin semble toutefois ralentir; il était très prononcé entre 2021 et 2022, modéré entre 2022 et 2023 et marginal entre 2023 et 2024. Il est tout de même pertinent de noter une diminution de 5% du ratio de recouvrement de 2022 à 2023, ce qui pourrait, au moins en partie, être associé à l’entrée en vigueur de la redevance partielle à l’élimination. On remarque d’ailleurs une stabilisation du ratio de 2023 à 2024, avec une diminution d’uniquement 1%.
Le second constat à dégager des données est l’évolution des quantités et des ratios de recouvrement mensuels au cours de la période. En effet, il paraît y avoir une importante variabilité des ratios qui ne semble pas s’expliquer par des considérations de réduction des nuisances. Par exemple, nous nous serions attendus à ce que le ratio de recouvrement soit plus élevé durant les mois chauds afin de limiter des odeurs plus incommodantes générées par les matières organiques enfouies. Or, il ne semble pas y avoir de tendance claire indiquant qu’un tel phénomène soit avéré. Ainsi, le ratio de recouvrement pour juillet se situait à 79% en 2021 alors qu’il était plus bas, à 62% un an plus tard. Le ratio de recouvrement peut également être aussi bas que 37% pour août, un autre mois généralement très chaud. De plus, le ratio de recouvrement le plus élevé, s’élevant à 82%, a été observé pour un mois de janvier. Bref, il ne semble pas y avoir de facteur évident qui permette d’expliquer ces variations importantes de mois en mois.
Conclusion
La régulation du recouvrement journalier repose sur un équilibre précaire. Son utilisation doit être suffisamment accessible pour inciter les exploitants de lieux d’enfouissement technique à amoindrir les nuisances pouvant être associées à leurs installations. À l’opposé, l’usage de matières comme matériaux de recouvrement doit être limité afin qu’il ne représente pas une manière de contourner la redevance à l’élimination, ce qui représenterait de l’« enfouissement déguisé ». La mise en place de la redevance partielle à l’élimination depuis 2023 semble être une piste de solution intéressante pour favoriser cet équilibre; le Bilan 2023 de la gestion des matières résiduelles au Québec de RECYC-QUÉBEC laissait entendre que la redevance partielle sur le recouvrement avait mené au plus bas taux de matières utilisées à cette fin depuis au moins 2015. Situé à 40% des matières résiduelles enfouies (excluant le recouvrement), il était toutefois assez près du 42% recensé pour 2020.
Compte tenu de cette situation, la question la plus naturelle consiste à se demander si la redevance partielle est suffisante afin d’assurer que le recours au recouvrement journalier est balancé. Les données que nous avons recensées à ce sujet nous laissent croire que ce n’est pas le cas. À l’échelle provinciale, on observe des variations importantes du ratio de recouvrement des LET ainsi qu’une propension des plus gros sites à utiliser proportionnellement davantage de matériaux de recouvrement. Sur le plan longitudinal, les variations importantes du ratio de recouvrement d’un mois à l’autre ne semblent pas explicables par des facteurs de réduction des nuisances. Elles n’ont pas non plus l’air de suivre une séquence claire en comparant les années.
Force est de reconnaître que les statistiques compilées pour les fins du présent exercice ont leurs limites, que l’on fasse cas de leur date de diffusion dans le cas des données provinciales ou de l’échantillon restreint des données longitudinales. Nous tenons d’ailleurs à réitérer la pertinence que les grands sites de la province fassent preuve du même niveau de transparence que CEC et qu’ils publient également leurs données détaillées concernant le recouvrement journalier. Néanmoins, il semble peu probable que les limites de chaque source de données affectent significativement les conclusions issues de leur analyse. Effectivement, malgré une légère diminution globale du recours au recouvrement journalier en 2023, il y a peu de raison de penser que cette variation s’accompagne d’un rééquilibrage majeur de l’utilisation du recouvrement d’un site à l’autre. Un nouveau recensement détaillé comme celui compilé pour 2019 serait tout de même utile afin de suivre l’évolution de ces tendances.
Il faudra encore attendre pour déterminer si l’effet de l’entrée en vigueur de la redevance partielle se poursuivra et s’il s’accentuera au cours des prochaines années. Mais si, comme le suggère notre analyse, ce mécanisme s’avérait utile, mais insuffisant? Un complément aux mesures actuelles pourrait consister à déterminer une quantité maximale de matières qui pourraient être utilisées comme recouvrement. Au-delà de cette limite, les quantités supplémentaires utilisées seraient assujetties à la pleine redevance à l’élimination. Cette limite devrait être conservatrice afin d’assurer qu’elle n’incite pas à négliger les obligations du REIMR quant aux nuisances des LET. Elle pourrait toutefois permettre d’éviter les cas où des proportions démesurées de matières sont utilisées comme recouvrement dans le but principal d’en disposer de manière moins coûteuse qu’en les enfouissant.