Se déclinant autour de plusieurs stratégies et mécanismes, l’obsolescence programmée fais l’objet d’un encadrement inégal à-travers le monde. Au Québec, l’encadrement légal de ce genre de pratique est en voie de se formaliser.
En avril 2019, le projet Projet de loi n° 197 a été déposé afin d’offrir un meilleur encadrement réglementaire de l’obsolescence programmée, l’Office de la protection du consommateur a tenu des consultations sur la durabilité, la réparabilité et l’obsolescence des biens de consommation. Un document a été présenté par l’Office afin de proposer certaines modifications à la loi dans un but de limiter l’obsolescence. Le projet s’est rendu jusqu’à l’étude détaillée en commission, mais est mort au feuilleton en 2022.
En octobre 2023, le Projet de loi n° 29 : Loi protégeant les consommateurs contre l’obsolescence programmée et favorisant la durabilité, la réparabilité et l’entretien des biens, a été adopté et est entré en vigueur peu de temps après. Les dispositions qui y sont prévues rappellent l’approche préconisée par certains exemples internationaux, dont la France. On y prévoit notamment une règlementation contre l’obsolescence programmée, cette dernière étant définie comme toute technique visant à réduire la durée normale de fonctionnement d’un bien. Un éventuel contrevenant s’exposerait à une amende pouvant aller jusqu’à 125 000$ ou jusqu’à quatre fois le profit réalisé grâce à la vente d’un bien ayant fait l’objet de techniques d’obsolescence programmée. À cela s’ajoute une interdiction de mettre en place des tactiques visant à limiter l’entretien ou la réparation d’un bien.
En reconnaissant qu’il est difficile d’établir avec certitude les cas dans lesquels des méthodes d’obsolescence programmée sont déployées, Le projet de loi prévoit également des régulations entourant la durabilité et la réparabilité de certains types d’appareils électriques et électroniques. Ces dispositions prévoient notamment une garantie de bon fonctionnement s’appliquant aux biens visés. On y retrouve également une obligation pour les commerçants ou les fabricants de donner au consommateur un accès aux pièces nécessaires pour la réparation à un prix qui ne décourage pas cette opération pour une durée jugée raisonnable à la suite de l’achat. Toutefois, contrairement à la législation française, la loi adoptée au Québec ne met pas en place d’indice de réparabilité ou de durabilité, un élément majeur du modèle français.
Les développements d’initiatives visant à lutter contre l’obsolescence programmée étant d’apparition relativement récente au Québec, il est possible de recenser quelques cas précurseurs dans ce domaine.
Quelques avancées ont été faites au niveau européen depuis environ 2008, année d’entrée en vigueur de la Directive d’écoconception de l’Union européenne. Bien que cette directive ait pour objectif principal d’octroyer les pouvoirs nécessaires à l’édiction de normes relatives à l’efficacité énergétique de certains produits mis en marché, elle met également à la disposition des décideurs certains outils leur permettant de réguler la durabilité des certains biens mis en marché.1Par exemple, des normes sur les balayeuses entrées en vigueur en 2017 stipulent que les modèles mis en marché à partir de cette année devront respecter des normes de durées de vie au niveau de certaines composantes. De plus, bien qu’il ne s’agisse pas de normes adoptées au niveau européen, plusieurs pays européens se démarquent par des garanties générales sur la durée de vie de certains biens, certaines de ces garanties pouvant aller jusqu’à six ans après la date d’achat. Parmi les pays ayant adopté de telles lois, on notera, entre autres, l’Irlande, la Norvège, les Pays-Bas et la Finlande.1
La France a mis en place de nombreuses politiques et réglementations visant à limiter l’obsolescence programmée. Des amendements au Code de la consommation en 2014 et en 2015 ont prévu une criminalisation de cette pratique ainsi que diverses mesures visant à rendre la réparation plus accessible.
Ainsi, au niveau de la limitation des pratiques d’obsolescence programmée, le Code de la consommation prévoit désormais une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison ainsi qu’une amende de 300 000 euros auxquels s’ajoutent 5% du revenu annuel moyen de l’entreprise fautive pour toute pratique qui viserait à délibérément réduire la durée de vie d’un produit afin d’en augmenter le rythme de substitution. Bien que cet amendement criminalise l’obsolescence programmée, elle laisse une marge de manœuvre importante aux producteurs. On note entre autres que les dispositions prévues ne contiennent pas de liste exhaustive des pratiques visées, ce qui pourrait générer un certain flou.1 De plus, les mesures donnent le fardeau de la preuve au consommateur, qui doit être en mesure d’établir l’intention de réduction de la durée de vie d’un produit. Or, les pratiques d’obsolescence programmée sont fréquemment superposées à des choix de conception (esthétiques ou autres) qui servent à les légitimer. Cela rend l’établissement de l’intention du producteur difficile sur le plan légal.1
Pour ce qui est de l’amélioration de l’accessibilité de la réparation, en vertu des amendements, un commerçant a l’obligation d’informer ses clients préalablement à l’achat de la disponibilité des pièces nécessaires pour la réparation des objets visés si cette information lui a été transmise par le producteur ou l’importateur. Le commerçant a également le devoir de rendre les pièces de réparation disponibles pour une période indiquée au moment de l’achat. Certains observateurs ont relevé le fait que, bien que ces dispositions facilitent l’accès institutionnel aux pièces, elles ne rendent pas nécessairement ces pièces plus abordables, ce qui est l’une des principales barrières à la réparation pour les électroménagers et les produits électroniques.1
Ces amendements au Code de la consommation ont été bonifiés en 2021 avec l’entrée en vigueur de la Loi anti-gaspillage pour une économie circulaire. En plus de réaffirmer l’obligation des commerçants d’informer les acheteurs de la disponibilité des pièces de rechange, cette loi prévoit de nouvelles mesures de lutte contre l’obsolescence, qu’elle soit programmée ou non.
On y retrouve d’abord l’obligation d’afficher un indice de réparabilité pour certains types d’appareils électroniques (p. ex. téléphones intelligents, ordinateurs, téléviseurs) et électroménagers (p. ex. certains types de machines à laver, tondeuses à gazon électriques). Cet indice s’échelonne de 0 à 10 et est défini selon la facilité d’accès à la documentation technique, la démontabilité de l’objet, la disponibilité des pièces détachées et leur prix ainsi que d’autres critères applicables uniquement à la catégorie de biens visée. C’est le producteur ou l’importateur du bien qui doit déterminer sa cote de réparabilité en s’appuyant sur la documentation et sur les critères développés par le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Les justifications des cotes retenues doivent être conservées dans l’éventualité d’un examen par un inspecteur. Un élargissement des catégories de produits visés est prévu pour 2024.2 Cet indice de séparabilité sera remplacé par un indice de durabilité qui introduit d’autres dimensions d’évaluation des biens tout en incluant les éléments considérés dans le cadre de l’indice de réparabilité.
Afin de contrer l’obsolescence logicielle (un type d’obsolescence systémique), la loi prévoit également de nouvelles obligations pour les fabricants et, subséquemment, pour les metteurs en marché de téléphones intelligents. Ces derniers doivent notamment indiquer au moment de l’achat pendant combien de temps les mises à jour du système d’exploitation permettront un fonctionnement normal de l’appareil. Cette mesure vise à éviter le ralentissement volontaire de téléphones intelligents par le biais des mises à jour en question.2
Dans le cadre de la même loi, les filières de responsabilités élargies des producteurs (REP) devront allouer une partie des fonds qu’ils collectent afin de financer des programmes de réparation. Ces investissements viseront à terme à rendre la réparation moins dispendieuse et donc plus accessible pour les consommateurs.2
Les premières stratégies d’obsolescence programmée ont émergé au début du XXe siècle dans le sillage de l’avènement de la consommation de masse aux États-Unis. Même si le principe avait été identifié un peu plus tôt par différents acteurs, l’appellation « obsolescence programmée » a commencé à être utilisée à partir des années 1930 comme moyen de stimuler l’économie à la suite de la Grande récession.3 Depuis, la notion a été davantage précisée et on distingue aujourd’hui différentes tactiques d’obsolescence programmée, chacune d’entre elles ayant ses propres mécanismes sous-jacents.
L’obsolescence technique est un type d’obsolescence qui affecte un produit qui devient désuet à la suite de l’introduction sur le marché d’un bien similaire qui effectue mieux ses fonctions.4 Ce type d’obsolescence est ancien et, pour la majorité de l’Histoire, il a surtout relevé d’une amélioration progressive des technologies utilisées par les sociétés humaines. Par exemple, l’invention et la popularisation de la presse à imprimer en Europe a mené à l’obsolescence technique de la retranscription manuscrite pour la production de livres. Ainsi, l’obsolescence technique ne relève pas nécessairement d’un effort volontaire de réduction de la vie utile des biens. Toutefois, dans un contexte contemporain, une entreprise donnée a intérêt à mettre en marché une alternative techniquement supérieure à son offre existante dans le but d’inciter les consommateurs à remplacer leurs biens et, à terme, de générer des profits. Cet incitatif fait qu’une firme, prise individuellement, devrait chercher à développer une innovation technique qui sera mise en marché au moment où les revenus marginaux des ventes des modèles existants commenceront à décroître. Ce phénomène est d’ailleurs accentué lorsque plusieurs entreprises se font compétition et que chacune cherche à capter davantage de revenus en produisant des versions d’un produit présentant des avantages techniques comparativement aux modèles existants.5 Les sorties annuelles de cellulaires présentant des améliorations technologiques de moins en moins importantes illustrent bien la manière dont l’obsolescence technique peut mener à une obsolescence programmée.
L’obsolescence psychologique est une stratégie qui consiste à rendre une nouvelle version d’un produit plus attrayante sur la base de son design ou des efforts de marketing qui l’entourent.4 Cette tactique repose sur la stimulation du désir de nouveauté chez le consommateur au point de l’amener à remplacer un bien qui est toujours fonctionnel.
Ce type d’obsolescence est intimement lié au marketing et plusieurs techniques sont employées par les entreprises afin de favoriser un remplacement d’un bien. Parmi les plus connues, on mentionnera les offres fondées sur la contrainte temporelle, les offres basées sur des réductions de prix ou encore l’évocation d’émotions positives et hédoniques.6 L’obsolescence psychologique repose aussi grandement sur la perception des consommateurs à l’égard d’un produit donné. Des travaux en psychologie tendent à montrer que, pour certaines catégories de biens, les consommateurs utilisent un mécanisme de rentabilisation de leurs achats pour déterminer sa valeur subjective. Lorsqu’ils jugent que suffisamment de temps se soit écoulé après un achat pour que ce dernier soit jugé rentable, ils ont tendance à percevoir le bien comme étant de moindre qualité et deviennent nettement plus disposés à le remplacer. Cela se produit d’ailleurs indépendamment de l’état objectif du bien dont il est question.7 Ce phénomène trouverait son origine dans le fait que la plupart des gens voient d’un mauvais œil le fait de remplacer un bien qui est toujours fonctionnel. Cette perception de désuétude plus ou moins exacte selon le cas agirait donc comme mode de légitimation du comportement de remplacement en s’appuyant sur l’idée que la fonction du bien est affectée et que sa valeur s’en trouve donc objectivement diminuée. Ce mécanisme est notamment observable dans le cas des téléphones cellulaires. Lorsqu’un nouveau modèle de téléphone est annoncé, on note une augmentation du trafic web sur les sites permettant d’évaluer la performance des appareils y accédant. Cela suggère que les utilisateurs de ces sites ressentent le besoin de vérifier que leur téléphone intelligent remplit moins bien ses fonctions que par le passé.8
L’industrie du textile, marquée par l’émergence de la mode rapide (fast fashion), fait notamment l’objet de tactiques d’obsolescence psychologique. Comparativement à l’offre de vêtement traditionnelle, la mode rapide se distingue par des vêtements peu durables et peu dispendieux et par la création d’un sentiment d’urgence préalablement à l’achat.9 Ces éléments conduisent à la réalisation d’achats impulsifs et fréquents, si bien que la mode rapide en est venue à la fois à dominer l’industrie de la mode en se révélant être fort rentable, mais aussi à être à la source de la vaste majorité des impacts environnementaux associés à la production, à l’usage et à la disposition post-consommateur de vêtements.9
L’obsolescence systémique est une tactique qui vise à rendre un produit désuet en manipulant l’environnement permettant son utilisation. Cela peut se faire en altérant les systèmes au sein desquels le produit est utilisé de façon à ce qu’il devienne incompatible avec ces systèmes ou encore en limitant les options de réparation ou d’entretien du produit.4
Ce type d’obsolescence programmée est un de ceux qui sont le plus souvent visés dans les législations, que l’on se réfère au cas français ou aux projets de loi mis de l’avant au Québec. Sur la base de la législation française notamment, des poursuites ont été initiées contre la compagnie Apple en 2017 et en 2022 pour des accusations de ralentissement d’anciens modèles par mise à jour et par la production de téléphones dont les pièces sont impossibles à remplacer sans l’aval du fabricant.10 Bien que la compagnie n’ait pas, pour l’instant, été rendue coupable, les situations décrites pas les plaignants sont assimilables à deux variantes d’obsolescence systémique, une fondée sur l’obsolescence logiciel (un type d’obsolescence systémique) et l’autre sur la mise en place de barrières à la réparation.
La détérioration désigne l’ensemble des méthodes utilisées afin d’assurer qu’un produit ne soit plus en mesure de remplir sa fonction après un nombre d’utilisations donné.4 Traditionnellement, cela est fait en fragilisant délibérément certaines composantes du produit de façon à occasionner un bris lors de l’usage.
La mode rapide (fast fashion) repose, entre autres, sur ce type d’obsolescence. En effet, comme dans ce modèle d’affaires repose sur un remplacement rapide des produits vendus, ces derniers sont conçus de manière moins durable que les vêtements typiquement mis en marché avant l’Après-guerre.9 Il en résulte que même un consommateur qui ne serait pas affecté par l’obsolescence psychologique se verrait tout de même forcer de remplacer fréquemment ses vêtements en raison de leur dégradation rapide.
1. Maitre-Ekern, E., & Dalhammar, C. (2016). Regulating Planned Obsolescence: A Review of Legal Approaches to Increase Product Durability and Reparability in Europe. Review of European, Comparative & International Environmental Law, 25(3), 378–394. https://doi.org/10.1111/reel.12182
2. [Ministère de la transition écologique]. (2021). La loi anti-gaspillage dans le quotidien des Français: Concrètement, ça donne quoi? https://shorturl.at/qrTX2
3. London, B. (1932). Ending the Depression Through Planned Obsolescence. https://shorturl.at/efg24
4. Rivera, J. L., & Lallmahomed, A. (2016). Environmental implications of planned obsolescence and product lifetime: A literature review. International Journal of Sustainable Engineering, 9(2), 119–129. https://doi.org/10.1080/19397038.2015.1099757
5. Kurz, R. (2015). Quality, Obsolescence and Unsustainable Innovation. Ekonomski Vjesnik/Econviews – Review of Contemporary Business, Entrepreneurship and Economic Issues, 28(2), Article 2.
6. Bahrah, E. N., & Fachira, I. (2021). The Influence of e-commerce Marketing on Impulsive Buying Behaviour. Advanced International Journal of Business, Entrepreneurship and SMEs, 3(9), 349–361. https://doi.org/10.35631/AIJBES.39023
7. Roster, C. A., & Richins, M. L. (2009). Ambivalence and attitudes in consumer replacement decisions. Journal of Consumer Psychology, 19(1), 48–61. https://doi.org/10.1016/j.jcps.2008.12.008
8. Makov, T., & Fitzpatrick, C. (2021). Is repairability enough? Big data insights into smartphone obsolescence and consumer interest in repair. Journal of Cleaner Production, 313, 127561. https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2021.127561
9. Niinimäki, K., Peters, G., Dahlbo, H., Perry, P., Rissanen, T., & Gwilt, A. (2020). The environmental price of fast fashion. Nature Reviews Earth & Environment, 1(4), Article 4. https://doi.org/10.1038/s43017-020-0039-9
10. [Le Figaro]. (15 mai 2023). Obsolescence programmée: enquête ouverte en France après une plainte contre Apple. https://shorturl.at/FLM05
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