Dans son rapport d’avril 2025, la commissaire au développement durable dit craindre que le contexte économique actuel n’entraîne le report ou la réduction de mesures dédiées à la préservation de la biodiversité ou à la lutte contre les changements climatiques. Cela, écrit Janique Lambert, ne serait pas sans conséquence pour les années futures. Ce à quoi le ministre Benoit Charrette a rapidement rétorqué que la conjoncture avait changé, que le Québec doit rester « compétitif » et qu’il n’était pas question de mettre de « pression supplémentaire » sur les entreprises.
Ne poursuivant que mon sens aigu du professionnalisme, celui-là même dont je ne puis me départir, mais aussi grâce à mes contacts, j’ai pu mettre la main sur la nouvelle feuille de route du ministère de l’Environnement visant à répondre à cette nouvelle réalité économique qui sévit. En primeur, je vous en livre les grandes lignes, chanceux et chanceuses que vous êtes.
Tout d’abord, la première mesure qui rentre en vigueur immédiatement est le nouveau titre de la fonction de Mme Lambert qui sera désormais la commissaire au développement du Québec.
Dans la même veine, la Loi sur le développement durable sera rouverte et sera renommée la Loi sur le développement du Québec.
Quant à lui, le MELCCFP sera fusionné avec le MEIE pour devenir le ministère de l’Environnement économique, de la Lutte contre la Faune et les Parcs et de l’Innovation pour des Climats énergétiques changeants, le MEELFPICEC.
On peut également lire dans cette feuille de route que les programmes de REP deviendront des RIP, soit des programmes de responsabilité infime des producteurs. Concrètement, cela voudrait dire que le gouvernement paierait les entreprises pour qu’elles s’acquittent des obligations qu’elles ont en vertu du RRVPE. Un peu comme cela s’est produit en décembre dernier quand le ministère de la Culture et des Communications a octroyé 5,7 millions à RecycleMédias « pour soutenir certaines personnes sujettes à une obligation de compensation dans le cadre du régime de compensation pour les services municipaux fournis en vue d’assurer la récupération et la valorisation de matières résiduelles ».
Comme je l’avais prédit dans mon éditorial de février, l’organisme Valorisaction Québec sera créé. Cet organisme aura le mandat de brûler à des fins de production d’énergie, les matières récupérées pour lesquelles des débouchés n’existent pas encore. Le coefficient d’efficacité énergétique nette, c’est-à-dire le rendement énergétique exigé, sera de 10 %. En fait, on ne veut pas que Valorisaction Québec utilise trop de carburant fossile pour brûler les matières afin de limiter ses dépenses. Si production d’énergie électrique il y a, Hydro-Québec pourra la considérer comme verte et décarbonée. Megawatts no matter what comme on dit chez eux.
La consigne sera maintenue, mais ne sera plus remboursée aux consommateurs. On apposera le symbole d’un « T » blanc dans un triangle bleu sur les étiquettes, indiquant que c’est la faute des mesures tarifaires imposées par nos voisins du Sud. Dans une 43e modification du règlement sur la consigne, on imposera, le 1er septembre de cette année, un montant de 25 cents sur les bouteilles de vin mises en vente, mais ce montant ne sera pas non plus remboursé aux consommateurs. Des modifications à la LQE et au REIMR seront apportées afin que la disposition du verre dans les LET soit dorénavant reconnue comme étant une forme de valorisation grâce à ses propriétés de compaction élevée dans la masse de déchets. L’analyse d’impact réglementaire accompagnant la feuille de route mentionne des taux de valorisation frôlant le 100 % pour cette dernière mesure.
La Société québécoise de récupération et de recyclage, RECYC-QUÉBEC, aura le mandat d’aplatir la courbe de l’économie circulaire afin de lui donner une forme plus longiligne et donc moins circulaire. Aplatir la courbe pour aplanir les impacts économiques pour les entreprises.
Une autre mesure concerne la protection des milieux humides, maintenant considérés comme des entraves au développement économique. Des plans d’assèchement et de remblayage de ces derniers devront être établis pour qu’ils soient offerts à des fleurons d’ici comme Stablex, Recyclage Carbone Varennes ou encore Northvolt. La possibilité de les déplacer au nord du 52e parallèle est également évoquée.
Une action de la feuille de route est consacrée à l’acceptabilité sociale qui y est présentée comme étant nécessaire, si nécessaire. À cet effet, le BAPE continuera la réalisation des mandats qui lui seront confiés, seulement si les promoteurs jugent cet exercice comme étant nécessaire.
Les mesures de cette feuille de route qui devrait être rendue publique au mois d’août pourraient devenir permanentes si leur efficacité est démontrée auprès des entreprises.
Voici en gros ce en quoi consistent les actions qui seront mises de l’avant afin de réduire la pression économique sur les entreprises afin qu’elles demeurent compétitives.
Bon, maintenant qu’on a bien ri, peut-on se parler franchement ? Qu’un ministre à vocation économique s’échappe dans une mêlée de presse en disant que l’environnement n’est pas sa priorité, ce n’est déjà pas excusable (souvenez-vous du poisson à trois yeux de Fitzgibbon), ça ne fait qu’étaler au grand jour son mépris et son ignorance sur cet enjeu.
Mais qu’un ministre de l’environnement réagisse aussi fortement à une inquiétude légitime de la commissaire au développement durable, dont c’est justement le travail d’informer les membres de l’Assemblée nationale, je n’en reviens tout simplement pas. C’est précisément pour cette raison que le gouvernement a créé ce poste, pour le prévenir ou l’informer sur d’éventuelles pratiques ou politiques préjudiciables à l’environnement. Un canari dans la mine institutionnalisé en quelque sorte.
Là, non seulement le ministre de l’Environnement ne se limite pas à ignorer les recommandations de sa commissaire, il les pourfend.
Lorsque j’ai pris connaissance de la réaction de M. Charette, je me suis dit que, si lui ne défend pas un tant soit peu les observations de la commissaire à l’environnement, qui va le faire ? Qui, au conseil des ministres, proposera justement de nouveaux moyens, de nouvelles mesures pour nous affranchir des tarifs arbitraires qui nous sont imposés par l’Oncle Sam ?
La crise tarifaire actuelle peut justement être une opportunité de penser hors de la boîte comme on dit. On parle beaucoup d’achat local, oui c’est bien, mais on peut aller un peu plus loin sans avoir l’air trop déconnecté de la dure réalité économique qui nous accable.
J’aurais voulu voir un ministre de l’environnement qui fasse la promotion de l’autonomie alimentaire, de l’économie sociale, qui mette de l’avant les règlements favorisant la réparation locale plutôt que la surconsommation de produit à courte durée de vie. Un ministre qui aurait même osé déconseiller de faire des achats en ligne chez Amazon. Et pourquoi pas, un ministre qui aurait mis un peu plus de pression sur une compagnie comme Stablex plutôt que de lui dérouler un tapis rouge pour qu’elle y cache des déchets dangereux américains en dessous ?
Si un ministre de l’environnement ne défend pas l’environnement, qui le fera ?
Éditorial paru dans l’infolettre d’avril 2025
