L’organisme pour lequel je travaille a été créé il y a maintenant plus de 30 ans. À l’époque, des citoyens et des organismes locaux se sont regroupés pour contrer certaines menaces, mais également pour proposer certaines solutions dans le domaine de la gestion des déchets. Replacez-vous à l’époque, c’était encore un peu le Far West dans le domaine. Le FCQGED était né.
Les défis qui existaient alors, consistaient essentiellement en la mainmise par des multinationales américaines sur quelques lieux d’enfouissement sanitaire locaux, mais ayant des autorisations et des capacités d’élimination énormes. Il y avait à ce moment-là une réelle crainte que le Québec devienne la poubelle des Américains. Il y avait aussi un manque de planification et de vision flagrant alors que les problèmes foisonnaient.
Il a fallu parer au plus pressé : faire l’état des lieux dans le domaine de la gestion de nos déchets afin de développer une meilleure gestion et de meilleures pratiques. Il y a bien eu la première politique de gestion intégrée des déchets solides en 1989, mais elle avait rapidement trouvé sa place sur une tablette pour ensuite se faire recouvrir de poussière.
Sous la pression des groupes environnementaux, menés par notre coalition, le gouvernement a finalement déclenché en 1996 les premières audiences génériques sur la gestion des matières résiduelles au Québec, la commission Journault. Lors de ces consultations, le FCQGED proposait déjà plusieurs mesures dont plusieurs sont en vigueur aujourd’hui : l’élaboration de plans de gestion de déchets par les MRC, le droit environnemental sur les pneus, l’élargissement de la consigne, la responsabilité élargie des producteurs ou encore le détournement des matières organiques de l’enfouissement.
Les années qui ont suivi la publication du rapport du BAPE no 115, Déchets d’hier, ressources de demain, ont été productives. Plusieurs groupes de travail avaient alors été mis sur pied. Il y avait peu de participation au début, il faut le dire, mais plus les enjeux devenaient importants, plus les salles de travail se remplissaient. Éventuellement sont apparus des chantiers dont les résultats nous touchent encore aujourd’hui, notamment l’adoption de la première (la seconde en fait) Politique québécoise de gestion des matières résiduelles, son enchâssement dans la LQE, et l’adoption du Règlement sur l’enfouissement et l’incinération des matières résiduelles (REIMR).
En parallèle, il y a eu le déploiement de la collecte sélective résidentielle, la naissance et le développement des programmes de responsabilité élargie des producteurs et aussi, une meilleure connaissance des enjeux reliés à la gestion des matières résiduelles par la population en général.
Une de mes tâches au sein de l’organisme était de faire en sorte de maintenir le dossier de la gestion des déchets sur le haut de la pile des priorités des ministres de l’Environnement successifs, et ça a fonctionné.
Même si tout n’a pas été parfait et ne l’est toujours pas aujourd’hui, on peut quand même affirmer sans trop se tromper, que l’on est sortis de la grande noirceur dans le domaine de la gestion des déchets. Il y a encore plusieurs côtés sombres, ou voilés, mais rien de comparable à ce que c’était à la fin du dernier millénaire.
Bref, il n’y a pas à rougir du travail qui a été accompli au cours des 30 dernières années dans le domaine. Toutefois, celui qui reste à faire doit être abordé encore beaucoup plus en amont et ne sera certainement pas plus facile.
Même si ce qui est en train de se développer dans la modernisation de la collecte sélective et dans les autres REP semble très prometteur, ce ne sera pas suffisant. Il nous faut développer davantage l’approche préventive que celle qui est curative dans la gestion de nos déchets. Le principal message que la Commission Zayed a transmis dans son rapport sur L’état des lieux et la gestion des résidus ultimes était d’ailleurs que le recyclage ne suffisait plus, qu’il fallait davantage développer des mesures afin de réduire notre consommation, plutôt que de gérer ses impacts.
En Europe, la France a son Programme national de prévention des déchets 2021-2027. Tout le monde a vu ou entendu parler des publicités de l’ADEME mettant en vedette ses dévendeurs dans les magasins. Il nous faudrait certainement des campagnes de sensibilisation accrocheuses comme ça ici. Il faudrait que l’on se penche sérieusement sur le développement d’une stratégie nationale de réduction à la source. Que l’on mette en place un chantier qui nous permettra collectivement de faire entrer moins de ressources dans notre économie, sans que cela n’affecte trop nos habitudes de vie.
Selon les dernières données disponibles, c’est près de 271 millions de tonnes de ressources que nous utilisons chaque année pour faire tourner notre économie au Québec. Toute augmentation des quantités de nos matières destinées au recyclage n’aura qu’un impact minime sur notre indice de circularité, surtout si notre boulimie collective augmente.
Ce chantier colossal, mais nécessaire, ne devra pas mettre tout le fardeau sur les épaules des citoyens, il devra mettre à contribution tous les secteurs d’activités de notre société : industrie, transport, construction, municipalités, etc.
Je crois sincèrement que nous en sommes rendus à ce point. Je crois que notre développement sera compromis si nous ne prenons pas sérieusement en considération nos modes de production et de consommation. Il ne s’agit pas ici de vouloir développer une lubie comme voudront en déduire certains, mais bien de développer une approche pragmatique, durable et responsable.
Éditorial paru dans l’infolettre de janvier 2024