Économie circulaire

L’économie circulaire est un modèle économique et un système de production et de consommation qui s’oppose à l’économie linéaire qui prévaut depuis plusieurs décennies. Dans une économie linéaire, le cycle de vie des biens et produits de consommation se résume par une simple séquence : extraire, fabriquer, consommer, jeter. Les matières premières et l’énergie sont à la base de cette séquence. Dans une économique circulaire, plusieurs procédés et systèmes sont mis en place pour limiter les étapes d’extraction de matières premières et d’élimination.

La définition québécoise officielle de l’économie circulaire, proposée par le Pôle québécois de concertation sur l’économie circulaire, se libelle comme suit : « Un système de production, d’échange et de consommation visant à optimiser l’utilisation des ressources à toutes les étapes du cycle de vie d’un bien ou d’un service, dans une logique circulaire, tout en réduisant l’empreinte environnementale et en contribuant au bien-être des individus et des collectivités. »

1. Acteurs au Québec

RECYC-QUÉBEC

Bien qu’il n’y ait pas, à l’heure actuelle, de politique officielle entérinant l’économie circulaire au Québec, la société d’État RECYC-QUÉBEC est l’acteur gouvernemental le plus actif dans la promotion de l’économie circulaire. À la suite de sa collaboration avec l’institut EDDEC (devenu le CERIEC) visant à produire une schématisation de l’économie circulaire, RECYC-QUÉBEC a introduit le concept au sein de plusieurs de ses orientations et de ses publications subséquentes. Du contenu web a été développé en lien avec la notion tant sur le site de RECYC-QUÉBEC que sur un site dédié. En 2022, une trousse favorisant la mise en place de feuilles de route régionales en économie circulaire a également été diffusée. Finalement, RECYC-QUÉBEC organise périodiquement les Assies québécoises de l’économie circulaire. Ces événements sont l’occasion de « faire un état de [la] situation, [de] partager les initiatives innovantes et [d’identifier] les opportunités à saisir pour les municipalités, les entreprises et les organismes ».

Québec circulaire

Québec circulaire est une plateforme fondée par le Pôle québécois de concertation sur l’économie circulaire qui, lui-même, regroupe certains acteurs notables de la gestion des matières résiduelles au Québec, comme le gouvernement du Québec, Éco Entreprises Québec ou encore le CERIEC. La mission de Québec circulaire consiste à « [..] fédérer la variété d’initiatives, d’outils et d’expertises [en économie circulaire] actuellement dispersées et qui se multiplieront au cours des prochaines années ». À cette fin, la plateforme propose, entre autres, des ressources pour mettre en place des actions, une carte interactive des initiatives en économie circulaire sur le territoire québécois ainsi que des actualités récentes et des événements à venir.

Fonds Écoleader

Le Fonds Écoleader est un programme de financement des entreprises québécoises qui vise à favoriser l’adoption de pratiques d’affaires écoresponsables et de technologies propres. Le Fonds est organisé autour de 11 thématiques principales, dont l’économie circulaire et d’autres notions adjacentes comme l’écoconception. Le programme met également à la disposition de ses pplicants un répertoire d’experts en pratiques écoresponsables.

2. Initiatives dans le monde

Au-delà de certains cas précurseurs d’implantation de politiques, plusieurs initiatives en économie circulaire ont émergé de manière relativement récente à-travers le monde. Surtout développées en Europe, la mise en place de ces actions évolue sur la trame de fond du Nouveau plan d’action pour une économie circulaire adopté par la Commission européenne en 2020. Au-delà de cette structure plus large, deux pays se sont démarqué par leurs démarches proactives face à la notion d’économie circulaire.

En premier lieu, la France a enchâssé l’économie circulaire dans sa législation depuis 2015 avec sa loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Cette loi reconnaît l’économie circulaire comme un des piliers du développement durable et fixe plusieurs objectifs visant à favoriser la circularité de l’économie française. On y retrouve notamment des objectifs visant un rapport de 30% entre le PIB et la consommation intérieure de matières, une réduction de 10% des quantités de déchets ménagers générés, l’atteinte d’un taux de recyclage de 65% et une réduction de l’enfouissement de moitié par rapport à 2010 d’ici 2050. Un second pas a été franchi en 2020 avec la promulgation de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire. La loi perpétue l’atteinte d’une économie circulaire comme cible en définissant cinq axes à partir desquels sont déclinés des mesures concrètes, comme l’interdiction progressive du plastique à usage unique, l’interdiction d’éliminer des invendus dans les commerces, ou encore l’élargissement des programmes de responsabilité élargie des producteurs (REP).

Les Pays-Bas sont un autre pays qui peut être considéré précurseur dans l’implantation de l’économie circulaire en regarde du plan d’action européen. En 2016, le gouvernement néerlandais a mis en place un programme pour l’économie circulaire au Pays-Bas d’ici 2050. Bonifiée par un objectif intérimaire d’une réduction de la consommation de ressources vierges de moitié d’ici 2030, l’approche préconisée s’articule autour du soutien aux entreprises, aux organisations de la société civile et aux centres de savoirs, notamment en offrant des allègements législatifs aux institutions qui mettent en place des mesures favorisant l’économie circulaire.

3. Développement de la notion

Les racines de l’économie circulaire sont profondes et ont peut dénombrer plusieurs théoriciens qui ont contribué à alimenter la réflexion entourant le concept jusqu’à l’atteinte d’une vision plus cristalisée vers la fin du dernier siècle. À partir de cette même période, il est également possible d’identifier plusieurs cas d’application politique précurseurs qui ont marqué le chemin ayant mené à la popularisation de la notion au Québec.

On peut tracer les origines du concept d’économie circulaire à l’effervescence des mouvements environnementaux américains dans les années 1960 et 1970. En effet, un nexus de tendances sociétales va engendrer de nombreuses avancées intellectuelles touchant le monde naturel. Parmi les tendances en question, on mentionnera (i) la prise d’ampleur de nouvelles problématiques environnementales (ii) une culture politique axée sur le militantisme et (iii) un souci grandissant pour la qualité de vie comme substitut aux préoccupations matérielles après la croissance explosive des années 1950.1

Bien que l’on n’utilise pas alors l’expression « économie circulaire », plusieurs des éléments qui en viendront à composer la notion vont émerger sur la scène militante et académique. À titre d’exemple, on peut se référer aux travaux de Boulding qui, déjà en 1966, parle de la nécessité de conformer les modèles économiques humains à la nature cyclique des systèmes écologiques sur lesquels ils reposent.2 L’auteur propose l’image d’une « économie de cowboy » pour décrire l’économie moderne linéaire. Cette illustration évoque le caractère ouvert et illimité des grandes plaines américaines. Il y oppose « l’économie de vaisseau spatial », modèle mettant en relief les limites physiques de l’activité économique et qui rappelle les articulations modernes de l’économie circulaire. Dans l’économie de vaisseau spatial, on ne cherche pas à maximiser les flux de production et de consommation, mais plutôt à optimiser le maintien de conditions de vie propices au bien-être humain tout en tenant compte de la nature finie des intrants et extrants qui peuvent soutenir le système économique.2 On peut ajouter à ce cas, d’autres concepts précurseurs. On mentionnera, entre autres, la hiérarchie des 3R, la symbiose industrielle, la théorie générale des systèmes ou les éco-cités.3 Certains vont même jusqu’à retracer l’idée de cycle appliquée aux systèmes économiques à une intégration de constats plus vieux issus des sciences naturelles, comme les cycles biochimiques ou les lois de la thermodynamique.4

Il faudra attendre les années 1990 pour que soit définie de façon plus rigoureuse l’économie circulaire. On associe généralement cette formalisation de la notion aux travaux de Pearce et Turner. Les auteurs différencient alors l’économie linéaire qui caractériserait le modèle économique dominant de leur époque et une économie circulaire où les extrants de chaque activité productive serviraient d’intrants à d’autres processus économiques.5

Durant la seconde moitié du XXe siècle, l’économie circulaire commence à trouver des assises au sein des politiques de gestion des matières résiduelles (GMR) de différents pays. L’Allemagne et le Japon sont fréquemment mentionnés en raison de leur approche avant-gardiste à ce niveau, même si les dates spécifiques évoquées dans la littérature varient. 6 7 8 D’une part, l’Allemagne a connu une diversification économique qui a conduit à une accélération de la dégradation environnementale sur son territoire à partir de la fin des années 1970. Cela l’a conduit à adopter la Loi sur la gestion du recyclage et des déchets (en allemand kreislaufwirtschaft qui se traduit littéralement par « économie circulaire ») en 1996.7 Cette loi met l’accent sur le traitement hiérarchique des matières résiduelles et sur la fermeture des cycles de vie économique à des ressources. Elle est également novatrice pour l’époque dans sa mise en place d’un système basé sur la responsabilité élargie des producteurs (REP).8

D’autre part, le Japon a également connu une période de crise de GMR que l’on peut retracer jusqu’à la fin du XIXe siècle. Étant donné la situation géographique du pays (petit territoire insulaire et montagneux), il était à la fois difficile d’approvisionner l’économie en minerai et d’avoir recours à un enfouissement massif sur le territoire comme mode principal de gestion des rebuts. Dans ce contexte, le Japon s’est doté de deux lois clés qui incarnaient certains principes d’économie circulaire : le Act on the Promotion of Effective Utilization of Resources en 1991 et le Basic Act for Establishing a Sound Material-Cycle Society en 2000.7 8 Ces deux législations préconisent une réduction des déchets à la source, une utilisation cyclique des biens et une gestion responsable des matières résiduelles. 9 10 Ces éléments sont condensés dans la loi de 2000 sous l’appellation d’une « société ayant un cycle matériel adéquat (sound material-cycle society) ».10

Sous l’influence des exemples allemand et japonais, la notion d’économie circulaire va pénétrer la Chine vers la fin des années 1990 pour ensuite devenir le principe directeur du pays en matière de GMR en 2002.7 Le développement industriel rapide qu’avait connu la Chine dans les années précédentes l’a confronté à de nombreuses problématiques environnementales. Parmi celles-ci, on note la désertification, des pénuries d’eau, la dégradation des sols, la pollution, la perte de biodiversité et les pluies acides.8 11 Face à ces enjeux, l’économie circulaire a été retenue par le gouvernement central, car elle offrait une avenue de séparation du développement économique et de la dégradation environnementale. Ce découplage économie-environnement était alors vu comme une manière de concilier des concepts qui étaient souvent présentés comme antinomiques.12 À ce jour, le cas de la Chine représente un des principaux exemples de politiques se revendiquant de l’économie circulaire selon une définition qui s’arrime à la signification courante actuelle. Concrètement, l’économie circulaire « à la Chinoise » se distingue par une approche centralisée et descendante, donc où les mesures à adopter sont définies au niveau national, puis implantées de manière régionale ou locale.13

L’économie circulaire connaîtra un essor notable dans le reste de l’Occident à partir de 2010 sous l’impulsion donnée par la Fondation Ellen MacArthur.14 La Fondation va agir comme point de convergence des parties prenantes susceptibles de s’intéresser à l’économie circulaire, notamment en établissant une liste de priorités et en mettant de l’avant des problématiques de recherche.3

Au Québec, l’économie circulaire a émergé tardivement et a d’abord retenu l’attention des milieux universitaires. En effet, on peut identifier la création de l’Institut de l’environnement, du développement durable et de l’économie circulaire (EDDEC) en 2014 comme l’un des moments charnières de la popularisation du concept dans la province. L’Institut, issu d’un regroupement de chercheurs de l’Université de Montréal, du HEC et de Polytechnique Montréal va générer le Pôle québécois de concertation sur l’économie circulaire. Ce dernier va proposer une définition du concept d’économie circulaire à un moment où le contenu de la notion ne semble pas tout à fait cristallisé à l’international. Cette définition deviendra en quelque sorte l’articulation officieuse de l’économie circulaire au Québec dans la mesure où elle sera notamment reprise dans la documentation de RECYC-QUÉBEC. De plus, l’Institut EDDEC, en collaboration avec RECYC-QUÉBEC, a produit un schéma représentant leur vision du fonctionnement général de l’économie circulaire et des notions qui s’y rattachent.

Schéma de l'économie circulaire de l'ÉDDEC

Malgré un intérêt croissant et une multiplication des initiatives se revendiquant de l’économie circulaire financée par les instances publiques, il n’y a pas, à l’heure actuelle, de politiques officielles qui viennent guider et encadrer les actions dans ce domaine.

4. Principes connexes

Malgré l’essor relativement récent de l’économie circulaire comme concept permettant d’envisager les transformations qu’auront à subir les économies occidentales afin de faire face à la dégradation environnementale qu’elles engendrent, plusieurs des notions qu’elle mobilise sont bien établies dans la pensée environnementaliste. Il semble donc pertinent de décortiquer certains de ces concepts et, ce faisant, de démystifier la relation qu’ils entretiennent avec l’économie circulaire.

L’origine du concept de la hiérarchie des 3RV (réduire, réutiliser, recycler, valoriser) est nébuleuse. À l’échelle du mouvement environnemental moderne, le concept a des racines profondes; on a pu recenser qu’une ébauche initiale du concept avait déjà été disséminée dans certains cercles lors du Jour de la Terre de 1970.15 Toujours est-il que cette hiérarchie dans la gestion des matières résiduelles est assimilable aux principes de bases de l’économie circulaire. Effectivement, d’une manière similaire à la façon dont les 3RV permettent de prioriser certains traitements des matières mobilisées par l’économie, les schématisations de l’économie circulaire insistent sur la nécessité de favoriser certaines « boucles » économiques.Ainsi, il est possible de tisser des liens entre les paliers de la hiérarchie. Réduire est semblable à « repenser nos modes de production-consommation pour consommer moins de ressources », réutiliser à « utiliser les produits plus fréquemment », recycler à « prolonger la durée de vie […] des composants », et valoriser à « donner une nouvelle vie aux ressources ». On dénote malgré tout au moins deux grandes différences entre les deux modèles.

D’une part, l’économie circulaire se veut plus large et englobante que la hiérarchie des 3RV. Du point de vue conceptuel, le modèle offert par l’économie circulaire accorde certes une place importante à la reformulation de la hiérarchie des 3RV, mais il intègre également de nombreuses autres notions issues d’une diversité de champs d’études. Ce faisant, il permet une synthèse de plusieurs domaines tout en permettant un dialogue entre des littératures diverses allant du génie à l’économie en passant par le design.

D’autre part, de manière plus prescriptive, la hiérarchie des 3RV offre une vision des actions à prioriser pour atteindre une gestion des matières résiduelles soutenable. L’économie circulaire va toutefois un pas plus loin en conservant l’idée de hiérarchie des actions à favoriser tout en mettant de l’avant une volonté de réforme du système économique actuel (qualifié d’économie linéaire par opposition à la circularité souhaitée). Cette réforme s’articulerait autour du fait de repenser le cycle de production-consommation et d’optimiser l’utilisation des ressources en circulation en vue d’atteindre un découplement de la croissance économique et des impacts néfastes de l’activité économique sur l’environnement.16 Le schéma de l’EDDEC permet également d’illustrer la manière dont une plus grande précision s’accompagne de choix normatifs. Par exemple, on y associe la réduction à la diminution du nombre de ressources consommées et pas nécessairement à la diminution de la consommation de biens.

L’économie collaborative et l’économie de partage sont deux concepts connexes qui se recoupent et sont fréquemment employés en conjonction avec l’économie circulaire. Ces deux concepts ont comme particularité commune d’être nébuleux et difficiles à définir. En effet, il semble que les écrits sur l’économie collaborative et sur l’économie de partage se soient davantage constitués de manière inductive, en extrayant les caractéristiques communes d’initiatives existantes, plutôt qu’en appliquant, en amont, des critères objectifs d’inclusion ou d’exclusion. Cela en a conduit certains à retenir l’auto-identification des projets ou des entreprises à cette mouvance large comme principal élément d’identification des articulations de l’économie collaborative et/ou de partage.17

En dépit de cette fluidité conceptuelle, plusieurs définitions ont été tentées. Bien qu’elles clarifient toutes, à leur façon, le contenu qu’elles attribuent à la notion, ces articulations ajoutent également à la confusion en incluant et en excluant des ensembles diversifiés d’éléments concrets. Par exemple, selon Revenu Québec, l’économie collaborative ou de partage se définit comme étant une économie qui « […] repose sur le partage ou l’échange entre particuliers de biens, de services ou de connaissances, avec ou sans échange d’argent. ».18 Cette définition met l’accent sur les échanges entre les paires, tout en excluant les activités d’entreprises qui facilitent l’usage commun d’un bien (p. ex. Communauto ou BIXI). Pour des auteurs comme Borel et al., quatre grands types de pratiques appartiennent à l’économie collaborative : (i) la réparation et la fabrication collaborative d’objets (p. ex. Repair cafes), (ii) le financement collaboratif de projets (p. ex. Kickstarter), (iii) l’éducation et le savoir collaboratif (p. ex. les MOOCs), et (iv) la consommation collaborative (p. ex. Amigo Express).19

Selon les auteurs, ces quatre catégories seraient unies par une plus grande horizontalité des rapports entre les acteurs, par la démocratisation des compétences et par le passage d’une logique propriétaire à une logique d’usage. Cette définition nettement plus inclusive offre des points de référence claire permettant d’identifier des comportements qui se rapporteraient à l’économie collaborative. Toutefois, ce caractère englobant peut s’avérer une lame à double tranchant. On peut se demander dans quelle mesure il convient d’étudier conjointement des initiatives communautaires locales comme les bibliothèques à outils et une compagnie comme Uber. D’autres textes tentent de remédier à cette problématique en proposant une typologie des initiatives. Schor avance deux axes de distinction des comportements d’économie collaborative et du partage, soit l’orientation de la plateforme à travers laquelle l’activité est réalisée (à but lucratif ou non) et le type de fournisseur de service (un autre utilisateur ou une entreprise).17 De tels efforts ajoutent une certaine clarté au champ, même si le domaine d’étude qu’il circonscrit est manifestement vaste.

En reprenant le schéma de l’ÉDDEC, on constate que l’économie collaborative devrait être une des pierres angulaires sur laquelle repose cette perception l’économie circulaire puisqu’elle est inclue dans la boucle la plus courte des optimisations proposées par le modèle. Effectivement, l’économie collaborative, avec les locations à court terme, permettraient d’« utiliser les produits plus fréquemment » et, donc, de limiter la production de biens tout en maximisant l’utilité des biens qui sont produits.

L’économie de la fonctionnalité (ou Product Service System (PSS) en anglais) désigne un ensemble intégré de produits et de services générant une valeur et une utilité pour les consommateurs.20 Plus simplement, il s’agit d’une désignation de modèles d’affaires qui misent davantage sur la vente de l’usage d’un produit plutôt que sur la vente du produit lui-même. En ce sens, la logique conventionnelle qui permet une adéquation entre le rôle d’utilisateur et de propriétaire est remise en cause. Cette altération de la possession peut s’articuler de trois grandes manières : (i) avec une orientation produit, donc en offrant au consommateur un ensemble de services qui accompagnent l’achat d’un bien (p. ex. garanties ou assurances), (ii) avec une orientation usage, soit lorsque le producteur demeure propriétaire d’un bien tout en le rendant accessible à une multitude d’utilisateurs (p. ex. location de voiture), et (iii) avec une orientation résultat, ce qui implique que le producteur s’engage à fournir une utilité précise au consommateur tout en demeurant propriétaire des moyens qui permettront de générer cette utilité (p. ex. service de photocopie facturé à la copie). 21 22

Bien quelle aie d’abord été mise de l’avant dans le milieu financier afin de développer de stratégies de démarcation des produits pour les producteurs et pour générer des opportunités de croissance, l’économie de fonctionnalité a eu tôt fait d’être considérée comme ayant un potentiel de contribution à l’atteinte de la soutenabilité, et ce pour deux principales raisons.21 22 D’une part, l’économie de fonctionnalité pourrait inciter les producteurs à concevoir des produits plus résistants et durables, car ils demeurent responsables (à degrés divers selon le modèle d’affaires) de l’entretien des produits et de leur gestion en fin de vie. D’autre part, le fait que le producteur soit responsable de l’allocation des produits visant à fournir la fonction vendue au consommateur facilite les pratiques liées à l’économie de partage, ce qui serait susceptible d’engendrer certains des bénéfices environnementaux qui s’y rattachent. En raison, de ces deux avenues d’innovation potentielles l’économie de fonctionnalité s’imbrique dans le modèle mis de l’avant par l’économie circulaire. Elle peut d’ailleurs avoir un impact sur les trois types de boucles décrites dans le modèle de l’EDDEC en plus de s’inscrire dans la section repenser en amont du modèle.

En dépit du potentiel environnemental et économique de l’économie de fonctionnalité, la littérature récente sur le sujet note certaines limites de l’application actuelle du concept. Tout d’abord, en analysant les modèles d’affaire à orientation produit et à orientation usage, on note que les bénéfices environnementaux qui émergent des pratiques mises en place sont soit négligeables, soit contrebalancés par des effets pervers.22 Par exemple, certaines études tendent à montrer que les consommateurs qui utilisent un bien qu’ils ont loué ou mutualisé sont en moyenne moins consciencieux dans l’usage qu’ils font de cet objet que s’ils en étaient les propriétaires, ce qui accélère la dégradation du bien en question.22 De façon similaire, la location de biens à moyen ou long terme pourrait favoriser les effets de mode en rendant incitant les consommateurs à rechercher la version la plus récente du bien loué.22
Ensuite, au niveau des modèles à orientation résultat cette fois, on note des bénéfices environnementaux généralement plus conséquents. Toutefois, ces modèles d’affaires semblent difficilement s’imposer dans plusieurs marchés, notamment en raison du fait que les consommateurs attribuent une haute valeur subjective au fait de posséder un bien.22

Finalement, même dans les cas où l’application d’un modèle fondé sur l’économie de fonctionnalité avait des bénéfices environnementaux indéniables, la maximisation des profits demeurait une priorité pour l’entreprise, ce qui pouvait conduire à des dommages environnementaux connexes aux changements de modèle d’affaires.21 Le cas du fabricant de pneus Michelin est un exemple éclairant de ce phénomène. La situation de ce producteur est souvent mise de l’avant comme un des cas d’application les plus fructueux de l’économie de fonctionnalité. Michelin a commencé à offrir des kilomètres parcourus sur des pneus comme substitut à l’achat de pneus. Dans ce modèle, un pneu usé est renvoyé à l’entreprise qui le reconditionnera et le remettra en circulation, augmentant ainsi la durée de vie du produit et diminuant le rythme de génération de matières résiduelles. En dépit de l’apparent caractère pro-environnemental de cette pratique, la compagnie a opté pour localiser le reconditionnement des pneus en Chine en raison du faible coût de la main-d’œuvre.21 Ce choix engendrant d’importantes émissions de GES liées au transport amoindrit considérablement le bilan environnemental de l’initiative. Bref, bien que l’économie de fonctionnalité puisse avoir un impact positif dans une optique d’économie circulaire, la littérature portant sur le sujet accentue le fait que cette contribution n’est pas une garantie.

L’écoconception est « un mode de conception d’un produit qui intègre des facteurs environnementaux tout au long de son cycle de vie ».23 Cette stratégie a pour objectif de réduire l’impact environnemental d’un produit en considérant en amont les retombées environnementales de son utilisation. Bien que le principe général d’écoconception soit applicable à de nombreux domaines (beaucoup d’attention a été portée au concept en architecture, par exemple), on note que, dans un contexte de GMR, traiter d’écoconception conduit principalement à s’attarder au design des biens de consommation. À ce niveau, l’écoconception peut agir de trois manières distinctes.

Premièrement, l’écoconception peut rallonger la vie des produits. Cette fonction, que Bocken et al. désignent comme un « ralentissement » des boucles économiques consiste à concevoir des produits de façon à ce qu’ils aient davantage tendance à perdurer et qu’incidemment, ils aient moins fréquemment besoin d’être remplacés. À terme, cette tendance réduit à la fois la quantité de matières résiduelles générées et la quantité de ressources mobilisées pour la création de nouveaux produits. Selon les mêmes auteurs, les designers qui souhaitent œuvrer à la prolongation de la vie utile des produits devraient miser soit sur la création de biens ayant une longue durée de vie, soit sur la conception d’objet dont il est facile de prolonger la vie utile.24

Concrètement, au niveau du premier de ces types de stratégie, on peut chercher à créer un attachement au produit chez le consommateur. On pensera à l’exemple de certains biens de luxe, comme des montres ou des stylos haut de gamme. Il est également possible de favoriser une conception de biens plus durables et fiables.24 À titre d’exemple, on pourrait mentionner un potentiel retour à des pratiques antérieures à l’émergence de l’obsolescence programmée dans les domaines des appareils électriques et électroniques.25

Pour ce qui est du second type de ralentissement des boucles économiques, Bocken et al. parlent de pratiques (i) qui facilitent l’entretien et la réparation, (ii) qui favorisent l’évolutivité (capacité d’améliorer un produit) et l’adaptabilité, (iii) qui mènent à la standardisation et (iv) qui facilitent le démontage et le remontage. Le domaine de l’électronique semble être terreau fertile pour l’application de ce type de stratégies.24

Deuxièmement, l’écoconception peut favoriser une meilleure recyclabilité des produits. À ce niveau, Bocken et al. parlent de la « fermeture » de boucles économiques. Dans un premier temps, ils entendent par là qu’un ensemble de stratégies d’écoconception peuvent être mobilisées afin de favoriser soit un traitement des produits en fin de vie qui repose sur une réintégration des ressources qu’ils mobilisent dans le cycle économique.

Dans un second temps, ils suggèrent que la conception peut reposer sur l’utilisation de matières résiduelles comme matières premières. Ces procédés peuvent s’appliquer de façon locale dans des symbioses industrielles, au sein desquelles les rebuts d’une entreprise servent de ressources à une autre. Ils peuvent aussi être envisagés dans une perspective plus large lorsque les producteurs favorisent des matériaux dont le recyclage est facile et rentable, comme lorsqu’on emballe des produits dans de l’aluminium.24

Finalement, l’écoconception peut diminuer la quantité de ressources nécessaires à la fabrication d’un bien. Bocken et al. considèrent que, schématiquement, cette fonction correspond à un « amincissement » des boucles économiques. Ce troisième vecteur d’écoconception est moins formalisé que les deux autres puisqu’il relève essentiellement d’un usage optimal des ressources, ce que les entreprises tendent déjà à faire dans une économie linéaire selon les auteurs. Malgré ce constat, la possibilité de minimiser l’utilisation des ressources mobilisées pour la production d’un bien dont l’utilité demeure inchangée contribue à l’atteinte des objectifs de l’écoconception.24

L’écoconception fait partie des stratégies pouvant être mobilisées afin qu’une économie tende vers la circularité. En fait, la conceptualisation de l’économie circulaire de l’Institut EDDEC donne un rôle central à l’écoconception en l’indiquant comme la première façon de « repenser » les processus économiques. En raison de sa position en amont dans les processus de l’économie circulaire ainsi articulée, l’écoconception conditionne fortement les processus d’optimisation qui ont lieu en aval. Cette interprétation trouve une résonance dans des situations tangibles. Par exemple. L’objectif de « prolonger la durée de vie » d’appareils électroniques est favorisé par le fait d’avoir écoconçu les appareils en question plutôt que d’avoir délibérément chercheé à limiter leur durée de vie pour qu’ils soient plus rapidement remplacés.

Malgré sa pertinence, il faut considérer le fait que l’écoconception ne peut pas à elle seule intensifier l’utilisation des produits ou fermer les boucles en fin de vie. En effet, la seule des trois fonctions que l’écoconception peut remplir indépendamment de tout autre processus est celle de la réduction des ressources en amont. Or, les gains économiques associés à une utilisation plus efficace des ressources lors de la conception peuvent conduire à une hausse de la consommation annulant les gains environnementaux autrement réalisés, ce que l’on qualifie d’effet rebond. Ainsi, même si l’écoconception favorise des comportements pro-environnementaux chez les consommateurs et les acteurs responsables du produit en fin de vie, cette stratégie ne peut à elle seule garantir l’atteinte des principes de l’économie circulaire. Wieser explique d’ailleurs comment les enjeux d’obsolescence programmée, des problématiques auxquelles s’attaque en principe l’écoconception, relèvent à la fois des choix des producteurs et de ceux des consommateurs. L’interaction entre ces sphères est d’autant plus complexe que les choix de ces deux types d’agents sont conditionnés par un contexte culturel et social qu’ils coconstruisent par leur interaction. Somme toute, l’écoconception peut jouer un rôle important dans un contexte d’économie circulaire, mais elle n’est pas une condition suffisante à l’atteinte des objectifs de ce modèle.

Il est également pertinent de noter que l’écoconception entretient des liens étroits avec d’autres concepts mobilisés dans le contexte du développement de l’économie circulaire. On pensera notamment à l’économie de partage et à l’économie de fonctionnalité pour ce qui a trait à la prolongation de la durée de vie utile des produits ou encore à l’écologie industrielle au niveau de la maximisation de la recyclabilité.

L’écologie industrielle est un champ d’étude qui analyse les systèmes de production des biens et services à la lumière des systèmes naturels, en s’en inspirant pour conserver et réutiliser les ressources.26 Plus précisément, l’écologie industrielle est « écologique » à deux égards. D’un côté, elle contextualise les procédés industriels humains dans le contexte plus large de la biosphère qui les supporte. De l’autre, elle tire son inspiration des écosystèmes naturels afin de dégager des principes qui peuvent être appliqués en industrie pour atteindre une meilleure soutenabilité.27 L’écologie industrielle est également « industrielle » dans la mesure où elle s’intéresse principalement à la conception et à la manufacture des biens et services. Cela place l’entreprise et les moyens technologiques dont elle dispose au cœur du locus analytique de l’écologie industrielle. Les écrits du domaine peuvent autant s’attarder au fonctionnement de firmes individuelles, qu’aux relations entre deux entreprises ou à des dynamiques industrielles régionales, voire globales.27

La majorité des textes liant l’écologie industrielle à l’économie circulaire ont tendance à présenter le premier champ comme étant subordonné au second.28 29 La définition de cette relation entre les deux notions tient principalement au fait que l’économie circulaire s’intéresse à un ensemble plus diversifié et englobant d’enjeux que l’écologie industrielle. Il est cependant important de noter que l’écologie industrielle est un courant d’étude plus ancien et plus mature que l’économie circulaire. Notamment en raison de ce caractère plus développé, les tenants de l’écologie industrielle sont plus diversifiés quant à la radicalité de la soutenabilité qu’ils mettent de l’avant. À l’inverse, l’économie circulaire retient davantage l’attention d’acteurs prônant une soutenabilité faible.28

En dépit de cette relation complexe, l’écologie industrielle et l’économie circulaire sont des champs aux affinités profondes et à la complémentarité indéniable. Par exemple, dans les deux domaines, une attention particulaire est accordée au raccourcissement des boucles économiques. Ainsi, les symbioses industrielles, où les rejets énergétiques ou matériels d’une entreprise deviennent des intrants pour d’autres organisations, sont des initiatives issues de l’écologie industrielle qui s’appliquent surtout à une échelle régionale et qui s’inscrivent donc dans les principes d’optimisation de l’économie circulaire.29

De plus, l’écologie industrielle fournit des outils qui contribuent de manière tangible à l’atteinte des objectifs définis dans une optique d’économie circulaire.30 On pourra mentionner, à ce niveau, l’analyse de cycle de vie, qui permet, par exemple, d’effectuer un bilan environnemental d’un produit ou système précis, ou encore les travaux d’ingénierie qui permettent une caractérisation des flux intrants et extrants de matières mobilisées par une entreprise.30

Le développement durable est couramment défini comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Cette définition très large se précise autour de trois piliers dont la combinaison est présentée comme le principal critère de succès d’un développement durable, soit la croissance économique, l’inclusion sociale et la protection de l’environnement.

Contrairement aux autres notions abordées jusqu’à présent, l’économie circulaire n’englobe pas le développement durable et il ne s’agit donc pas d’un concept à application plus large. D’un point de vue conceptuel, il serait possible d’avancer que le développement durable a la capacité d’inclure en son sein le modèle proposé par l’économie circulaire. En effet, l’économie circulaire vise ultimement la conciliation des dimensions économiques et environnementales, deux des trois piliers du développement durable, seul le développement social y étant absent.

5. Réactions à l'économie circulaire

Depuis 2010, beaucoup d’encre a coulé sur les mérites et sur les faiblesses de l’économie circulaire comme modèle de transition vers des sociétés plus respectueuses des contraintes environnementales de leur milieu de vie. Les réflexions d’une foule d’auteurs peuvent ainsi être divisées en réactions qui, malgré les nuances qui les accompagnent, se montrent soit favorables, soit défavorables face à l’économie circulaire.

En s’intéressant d’abord aux éléments qui peuvent être mis de l’avant pour arguer en faveur de l’économie circulaire, on constate, dans un premier temps, que la notion est populaire dans plusieurs milieux et qu’elle est rassembleuse. Comme l’expliquent Blomsma et Brennan, l’économie circulaire, sur le plan théorique, ne trouve pas sa force dans la nouveauté des concepts qu’elle met de l’avant ni dans l’originalité des solutions qu’elle propose; tous les éléments théoriques qui composent l’économie circulaire la précèdent d’au moins plusieurs dizaines d’années.31 Cependant, cela n’implique pas que l’élaboration de l’économie circulaire soit dépourvue de créativité. En liant et en structurant au sein d’un cadre commun des notions qui jusqu’alors s’étaient développées de manière parallèle, le modèle est susceptible de donner un regain d’attention à des propositions utiles qui auraient perdu en visibilité autrement.

Dans un deuxième temps, l’économie circulaire est une manière d’entrevoir l’utilisation des ressources qui, à tout le moins sur le plan conceptuel, suscite l’adhésion. Selon Corvellec et al., l’économie circulaire a rapidement gagné en popularité pour deux raisons.32 Premièrement, le concept en est venu à s’articuler autour d’un cadre « gagnant-gagnant » qui met l’accent sur les initiatives qui permettent un résultat favorable pour toutes les parties impliquées. Cette caractéristique donne au modèle un potentiel rassembleur qui facilite l’adhésion à ses principes. Dans un ordre d’idée similaire, van Durme et al. avancent qu’un des déterminants du succès de l’économie circulaire relève de sa capacité à présenter les entreprises et les consommateurs non pas comme des générateurs de problématiques environnementales, mais plutôt comme des agents de solution.33 Deuxièmement, l’économie circulaire, en partie en raison de son caractère consensuel, aurait rapidement été adoptée par des décideurs, ce qui aurait accéléré sa diffusion. Résultat de ces tendances : l’économie circulaire a été adoptée comme principe orientant les politiques de développement en Chine, en Afrique, en Europe et aux États-Unis. Bien qu’il n’y ait pas de politique officielle encadrant la mise en place d’un modèle d’économie circulaire au Québec, il paraît plausible que ces deux caractéristiques aient contribué à l’intégration du concept dans le discours et les orientations d’organisations comme RECYC-QUÉBEC.

Dans un troisième temps, pour Ezvan, l’économie circulaire est susceptible d’apporter des bénéfices réels au niveau environnemental. Selon l’autrice, le modèle permet d’abord de mettre de l’avant l’usage optimal des ressources comme clé de succès du développement. Ce principe s’articule autour d’un découplage se voulant absolu entre l’extraction de ressources naturelles, d’une part, et l’activité économique des entreprises de l’autre. En réutilisant au maximum les ressources extraites de la biosphère, l’utilité des matières est optimisée et l’économie peut continuer à croître sans tout en assurant un impact constant voir décroissant sur l’extraction de matières premières. De plus, toujours selon Ezvan, l’économie circulaire pourrait aider à limiter les externalités négatives, soit les extrants des systèmes de production et de consommation qui ont un impact nocif sur l’environnement. En effet, comme une logique circulaire veut que les biens soient revalorisés en fin de vie, on devrait s’attendre à ce qu’une économie appliquant ces principes n’élimine que les résidus ultimes.34

Dans un dernier temps, le fait que l’adoption de politiques d’économie circulaire ait contribué à faire face à des crises dans plusieurs régions du monde semble gage de son potentiel. Pour Heshmati, le fait que l’économie circulaire ait orienté les mesures qui ont permis de régler des crises de gestion des matières résiduelles en Allemagne ou au Japon permet d’y voir un outil pertinent apte à orienter l’élaboration des politiques de gestion des matières résiduelles.35

En dépit de ses contributions, l’économie circulaire a également fait l’objet de plusieurs critiques. Certains ont décrié l’imprécision du concept ainsi que ses limites tant au niveau de ses domaines d’application possibles qu’à celui des phénomènes auxquels il permet de s’intéresser. Au niveau conceptuel d’abord, Corvellec et al. relèvent l’existence de plus d’une centaine de définitions de l’économie circulaire.32 Chacune de ces définitions permet d’inclure et d’exclure différents éléments de ce qu’est l’économie circulaire, si bien que l’appellation est susceptible de référer à des notions drastiquement différentes d’un milieu à l’autre. Non seulement ces différences peuvent être recensées d’une source à l’autre, mais il est également possible de dénoter des différences marquées entre les domaines d’études adjacents à l’économie circulaire. Ainsi, il est probable que l’articulation du modèle aura un sens différent selon que l’on s’adresse à un ingénieur, à un professeur de gestion ou à un décideur.

Bien que cette fluidité conceptuelle facilite l’adhésion au modèle, elle entraîne également des difficultés de communications et elle peut mener à une forme de cooptation dans la pratique. Par exemple, pour Valenzuela et Böhm, une analyse des pratiques de l’entreprise Apple semble révélatrice d’un double discours.36 D’un côté, la firme promulgue son adhésion aux principes de minimisation des déchets de ses activités, notamment en faisant la promotion de ses initiatives de recyclages des vieux cellulaires. De l’autre, l’enthousiasme que la compagnie tente de générer pour ses modèles qui se succèdent rapidement vise à inciter les consommateurs à remplacer leur cellulaire actuel pour une version dernier cri. Dans ce contexte, les auteurs jugent que l’évocation des principes d’économie circulaire vise davantage à déculpabiliser les acheteurs face au remplacement d’un bien utile qu’à mener à une concrétisation réelle d’un nouveau modèle économique.

Une autre critique qui a pu être adressée au concept d’économie circulaire est que, dans son incarnation actuelle, il semble s’appliquer uniquement aux situations où il y a une opportunité de gain. Comme l’expliquent Corvellec et al., bien que la focalisation sur le modèle gagnant-gagnant ait permis à l’économie circulaire de connaître un plus grand succès auprès des entreprises et des cercles de décideurs, elle a également eu pour corollaire de limiter l’attention de ces acteurs uniquement aux solutions et aux stratégies qui sont exemptes de potentiel conflictuel.32 Dans la même veine d’idées, Dietsch & Zwarthoed jugent que l’impact environnemental des sociétés est défini selon trois facteurs, soit la population, le niveau de consommation de chaque individu et la technologie disponible.37 Pour les auteurs, les solutions mises de l’avant par l’économie circulaire reposent principalement sur ce dernier facteur et c’est donc principalement par progrès technologique et technique que le modèle se propose de régler la crise environnementale. C’est donc dire que ces domaines agissent comme goulot d’étranglement face à l’action environnementale dans l’articulation présente de l’économie circulaire.

Une série de commentaires connexes s’intéressent aux angles morts de l’économie circulaire. Pour certains, une mise en place exclusive de mesures relevant de ce modèle conduirait à occulter plusieurs éléments importants qui entreraient dans la composition de sociétés prospères. La principale critique qui est soulevée à ce niveau concerne la faible considération des dimensions sociales au sein des conceptualisations et des initiatives d’économie circulaire. Plusieurs auteurs déplorent cet aspect dans la mesure où il empêche de considérer certains des enjeux éthiques découlant de perspective analytique offerte par le modèle. Pour van Durme et al., par exemple, il serait souhaitable que les tenants de l’économie circulaire considèrent davantage les impacts que les modifications économiques qu’ils proposent auront sur la justice distributive ou sur l’équité.33 De façon similaire, Murray et al. jugent qu’il faudrait considérer l’impact de l’économie circulaire sur l’égalité des chances et sur l’égalité financière que ce soit au niveau inter/intragénérationnel, ethnoculturel, religieux ou de genre.38

Une dernière catégorie de critiques relève d’un scepticisme quant au succès que pourra rencontrer l’économie circulaire dans les objectifs qu’elle se donne. D’une part, certains écrits mettent en doute la possibilité d’appliquer des modèles d’économie circulaire à grande échelle dans un contexte de libre marché. Corvellec et al. mettent en évidence le fait que, en dépit de l’intérêt marqué pour l’économie circulaire au cours de la dernière décennie, cet enthousiasme ne semble pas s’être traduit en une adoption large de ce modèle à l’échelle des consommateurs et des entreprises.32 Comme le note Hofmann, les compagnies qui offrent des produits en mobilisant des pratiques circulaires tendent à être confinées à des secteurs niches ou à une offre de produits de luxe moins susceptible de rejoindre la majorité des acheteurs.39 D’ailleurs, l’auteur note que les firmes qui mettent en place certains mécanismes d’économie circulaire ont souvent des opérations linéaires en parallèle afin de maintenir leur compétitivité et leur croissance. Abraham, pour sa part, s’inquiète du fait que la substitution de pratiques linéaires par des pratiques circulaires n’est pas toujours possible, notamment dans le secteur énergétique, ce qui limite la portée de l’économie circulaire.40

D’autre part, advenant une diffusion généralisée de l’économie circulaire, des inquiétudes persistent quant aux impacts environnementaux qu’elle pourrait avoir. Dietsch & Zwarthoed, notamment, sont préoccupés par les possibles effets rebonds; l’augmentation de l’efficacité de l’utilisation des ressources pourrait mener à une hausse de la consommation qui viendrait annuler les gains environnementaux qui auraient autrement été réalisés.37 Dans un ordre d’idée comparable, Hird met en garde contre une confiance excessive envers le recyclage des matières comme stratégie de découplement puisque la demande en matière recyclée tend à s’ajouter à la demande en matières neuves plutôt qu’à s’y substituer.41

Schéma de l'addition de la demande en matières neuves et recyclées selon Hird (2021)

6. Notes et références

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5. Pearce, D. W., & Turner, K. R. (1990). Economics of natural resources and the environment. Johns Hopkins University Press.

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10. The Basic Act for Establishing a Sound Material-Cycle Society, Pub. L. No. 110, 12 (2000). https://www.env.go.jp/content/900452892.pdf

11. Geng, Y., & Doberstein, B. (2008). Developing the circular economy in China : Challenges and opportunities for achieving « leapfrog development ». International Journal of Sustainable Development & World Ecology, 15(3), 231 239. https://doi.org/10.3843/SusDev.15.3:6

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29. Figuière, C., & Chebbi, A. (2016). Écologie Industrielle (EI) et Économie Circulaire (EC). Concurrentes ou complémentaires ? XXXIIèmes journées du développement ATM 2016 « Catastrophes, vulnérabilités et résiliences dans les pays en développement ». https://shs.hal.science/halshs-01564030

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38. Murray, A., Skene, K., & Haynes, K. (2017). The Circular Economy : An Interdisciplinary Exploration of the Concept and Application in a Global Context. Journal of Business Ethics, 140(3), 369 380. https://doi.org/10.1007/s10551-015-2693-2

39. Hofmann, F. (2019). Circular business models : Business approach as driver or obstructer of sustainability transitions? Journal of Cleaner Production, 224, 361 374. https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2019.03.115

40. Abraham, Y.-M. (2016). Une stratégie nécessaire, mais insuffisante. In L’économie circulaire : Une transition incontournable (p. 161 165). Presses de l’Université de Montréal.

41. Hird, M. J. (2021). Canada’s Waste Flows. McGill-Queen’s Press – MQUP.

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