Au risque de me faire traiter de woke – ce qui à l’origine n’était pas un terme péjoratif –, je vais tenter d’aborder la notion de ce que j’appellerais l’appropriation environnementale. Sans être du greenwashing à proprement parler, l’appropriation environnementale n’en est pas moins insidieuse.
Indiquer sur l’étiquette d’un produit que ce dernier est recyclable alors qu’il ne l’est absolument pas, c’est du greenwashing, de l’écoblanchiment. Il s’agit de l’utilisation d’une affirmation mensongère ou sciemment fallacieuse à des fins purement consuméristes. Cette pratique peut également avoir pour but de favoriser l’acceptabilité sociale d’un projet ou d’occulter sa véritable nature. À titre d’exemple, qualifier l’incinérateur de la Ville de Québec comme étant un complexe de valorisation énergétique, c’est mensonger. Cette infrastructure en est une d’élimination et elle est, à ce titre, assujettie au REIMR et au Règlement sur l’assainissement de l’atmosphère.
L’appropriation environnementale n’est pas a priori basée sur la duperie. Elle consiste à détourner et à amplifier un aspect écologique d’un projet afin de conférer à ce dernier plus d’impacts environnementaux positifs qu’il n’en a en réalité. Aussi, martelé avec insistance, cet aspect environnemental peut occulter toutes les autres facettes d’un projet. Northvolt en est un excellent exemple : la méga-usine produira des batteries pour construire des voitures qui n’émettront pas de gaz à effet de serre. Le projet servira à décarboner le Québec. Les impacts négatifs de celui-ci seront très largement compensés par les bienfaits qui en résulteront pour la collectivité. Les environnementalistes ne peuvent donc qu’appuyer ce projet selon le gouvernement.
Ce projet nous est ainsi vendu comme en étant un environnemental dans son ensemble et structurant de surcroît, même si l’on sait qu’une stratégie de transport viable ne se résume pas en la construction d’une simple usine de batteries, surtout si on ne peut garantir qu’elles serviront à alimenter des voitures ici, au Québec. De plus, même si l’on sait qu’il détruit des milieux humides, qu’il est un risque avéré pour une espèce menacée dans la rivière Richelieu, les bienfaits environnementaux collatéraux de celui-ci sont mis en exergue de façon tellement persistante qu’il devient malaisant de s’y opposer. D’ailleurs, les angles d’attaque utilisés par la majorité des gens qui remettent en question la construction de cette usine ciblent principalement son manque de transparence qui y est associé.
Il s’est passé un peu la même chose avec le REM. Un projet que certains organismes considéraient comme un projet désincarné lorsqu’il avait été annoncé. Un projet qui n’était pas en phase avec une réelle politique de mobilité durable, surtout qu’il cannibalisait des réseaux de transport collectif dans la grande région de Montréal. Mais, questionner le REM était un peu tabou et risqué. Il valait mieux avoir un tel projet que rien du tout. Il s’agit après tout, d’un moyen de transport collectif et électrique, de surcroît.
Parfois, l’usage de l’appropriation environnementale se rapproche de la propagande. Répété dix mille fois, un impact environnemental marginal d’un projet peut faire en sorte que ce dernier soit entièrement perçu comme étant bénéfique pour l’environnement.
L’idée n’est pas ici de singulariser le débat autour de tel ou tel projet en particulier, mais bien de démontrer le dérapage, parfois volontaire, de l’appropriation environnementale.
Un autre aspect tout aussi insidieux, consiste en l’utilisation à outrance de cette appropriation environnementale. Aujourd’hui, presque tout nous est présenté comme étant bon pour l’environnement. À force de côtoyer tant de politiques vertes, tant de projets verts ou d’acheter de nombreux produits aux vertus les plus écologiques les unes que les autres, plus rien ne se démarque vraiment pour ses préceptes environnementaux. Tout est pour ainsi dire « vert » sans que nous puissions vraiment déterminer le vrai du faux, la multitude étant.
Je ne peux m’empêcher de faire un lien ici avec la démobilisation ou la fatigue généralisée que l’on observe parfois au sein de certains pans de la population. Fatigue qui peut parfois engendrer une certaine apathie vis-à-vis la cause environnementale. Une banalisation grandissante de la communication environnementale de masse, associée à un tel désintéressement apparent, n’augure rien de bon pour l’avenir. Je crains des fois que nous risquions de tomber dans un mode réactif alors que les multiples défis liés à l’urgence climatique nous demandent, au contraire, d’agir de façon proactive.
Éditorial paru dans l’infolettre de mai 2024