Cet automne, un article du journaliste d’enquête Marc Allard du Soleil de Québec est passé un peu sous le radar [1]. Il faisait ressortir l’intérêt certain d’Hydro-Québec d’acheter la vapeur émise par l’incinérateur de Québec afin de faire fonctionner des turbines pour produire de l’électricité.
Puis, il y a eu l’entrée en vigueur de la modernisation de la collecte sélective avec toutes les nouvelles matières que l’on peut maintenant mettre dans le bac, même si les débouchés n’existent pas. Quelques semaines après, il y a eu cette levée de boucliers contre la hausse des tarifs chargés aux producteurs dans le cadre de cette modernisation.
Puis, vint le projet de loi no 81. Si on brasse tout ça ensemble, on a tous les ingrédients pour faire une soupe qui risque d’avoir un arrière-goût amer.
Pour la recette, nous avons donc besoin :
D’une société d’État qui cherche à produire davantage d’énergies alternatives. Ce n’est pas les négawatts qu’Hydro recherche, mais les « écolowatts » (je sais que ça n’existe pas, mais je suis sûr que quelqu’un a déjà dû y penser). Pour produire de l’énergie à partir de la vapeur de l’incinérateur de Québec, on parle déjà d’énergie décarbonée. Pour ceux et celles qui ne le savent pas, de l’énergie décarbonée c’est de l’énergie qui n’est pas faite à partir d’énergie fossile, de l’énergie renouvelable.
Premier dérapage : Considérer les déchets comme d’une source d’énergie renouvelable est un leurre. Le plastique, le papier, le bois que l’on brûle dans un incinérateur ont des empreintes carbone élevées. On estime à environ une tonne de GES émise par tonne de déchets incinérés. En plus qu’à Québec, on utilise du gaz naturel pour optimiser la combustion des déchets. Même le fameux incinérateur de Copenhague utilise du mazout pour brûler ses déchets dont une bonne partie provient du Royaume-Uni. Mais on a juste à lui greffer une piste de ski et un mur d’escalade pour qu’il devienne un modèle. Greenwashing.
Deuxième dérapage : Hydro-Québec fait partie de l’État. Donc, les pratiques et les besoins de cette société peuvent influencer les décisions de l’État. Si Hydro-Québec dit que son électricité produite à partir de déchets est décarbonée, ça peut trouver écho dans certains ministères… Je vois déjà les publicités vantant cette énergie verte, soucieuse de notre environnement et pour le bien des générations futures. La transition énergétique tant recherchée peut également normaliser le port d’œillères.
Donc, le premier ingrédient jouerait le rôle de maître d’œuvre, essentiel à la recette, un peu comme l’est le bol pour la soupe.
Le second ingrédient, c’est le gisement. Là, j’espère que je ne suis pas en train de donner des idées à qui que ce soit… Donc, où pourrait-on trouver un gisement en quantité suffisante et produit de façon régulière ? Ben, dans notre bac de récupération, tiens ! surtout qu’on le remplit beaucoup plus depuis le 1er janvier avec des matières qui ne peuvent pas être recyclées actuellement, mais qui ont un potentiel calorifique certain.
Vous commencez à saisir où je veux en venir ?
On ne parlerait plus d’incinération pour nos emballages, mais bien de valorisation énergétique.
━━ Intermède didactique : Comprendre la valorisation énergétique ━━
Dans le cadre des audiences génériques sur L’état des lieux et la gestion des résidus ultimes, le gouvernement a publié un document intitulé L’élimination des résidus ultimes. Le contenu de ce document devrait être, on s’en doute, on ne peut plus clair. On y apprend donc que, outre le réemploi et le recyclage, le ministère de l’Environnement considère la valorisation énergétique comme de la valorisation. En revanche, l’incinération, la gazéification, la pyrolyse, le plasma thermique et les autres (?) procédés sont considérés comme étant de l’élimination.
Bon d’accord, mais c’est quoi de la valorisation énergétique alors ? Non pas que je veuille que tous les procédés énumérés ci-haut en soient, mais je veux bien comprendre. Définir la valorisation énergétique comme étant une forme de valorisation, c’est pas ça qu’on appelle une tautologie ?
Peut-être que la Loi sur la qualité de l’environnement pourrait nous éclairer un peu plus ? On y lit, à son article 53.4.1 que la destruction thermique de matières résiduelles constitue de la valorisation énergétique dans la mesure où ce traitement des matières respecte les normes réglementaires prescrites par le gouvernement, dont un bilan énergétique positif et le rendement énergétique minimal requis, et qu’il contribue à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
OK, donc une destruction thermique de la matière peut être de la valorisation si son bilan énergétique est positif et qu’elle a un rendement énergétique minimal. Parfait, où trouve-t-on ces balises, les critères à respecter ? Le ministère possède-t-il des rapports de procédés avec de telles données ? Car de la valorisation énergétique, il y en a déjà. Une partie des matières recyclables résidentielles sont « valorisées » énergétiquement, des matériaux envoyés aux écocentres, des pneus, des produits électroniques, etc. etc.
Ce que je comprends donc, c’est que la valorisation énergétique n’est pas clairement définie, mais qu’il y en a quand même. Aussi, les critères la balisant n’existent pas, même s’ils ont été annoncés dans le cadre des actions 1 et 2 dans le plan d’action 2011-2015 de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles.
Autre point super important, c’est que la valorisation, ce n’est pas de l’élimination. Ça peut sembler être une lapalissade, mais ce sont les implications qui découlent de ce fait qui sont majeures. À ce sujet, je vous inviterai à lire ou à relire un court texte intitulé Pour un vrai débat sur la valorisation énergétique et dont le fond est toujours d’actualité même s’il a été rédigé en 2008.
Bref, la valorisation énergétique peut rapidement se transformer en boîte de Pandore si on ne l’encadre pas de manière adéquate et rigoureuse.
━━ Fin de l’intermède didactique ━━
Donc un débouché pour nos sacs de chips pourrait être trouvé comme par magie. Imaginez : votre sac de Lay’s contribuant à la production d’une énergie renouvelable décarbonée ! On pourrait même imprimer le nombre d’écolowatts qu’il pourrait générer, juste à côté du tableau des valeurs nutritives de nos croustilles préférées !
Là, c’est le temps d’incorporer un rehausseur de saveur, un peu comme du MSG : la facture salée (!) envoyée aux producteurs par Eco entreprises Québec. Même si les tarifs sont très certainement justifiés dans le cadre de cette modernisation avec notamment le chevauchement des années facturées, il n’en demeure pas moins qu’elle est trop poivrée pour certains. On parle maintenant de mesures pour rendre la chose plus digeste comme repousser les paiements, les étendre sur une plus longue période temps et même utiliser l’argent du fonds vert !
Mais voilà que l’idée de transformer une partie du contenu du bac en écodollars renouvelables pourrait bien faire son chemin vers les plus hautes officines de l’État.
Balivernes, me direz-vous ? Délire d’écolos complotistes ? Non surtout pas ça ! Mais relisez le projet de Loi no 81, son article 88 (paragraphe 31.4.3). Cet article dit expressément qu’Hydro-Québec peut bénéficier d’un passe-droit pour la construction d’une infrastructure qui « participe à l’atteinte des cibles gouvernementales en matière de lutte contre les changements climatiques ou relatives aux objectifs de la transition énergétique ».
Et bien voilà, il ne reste plus qu’à créer une société avec un nom comme Valo-Québec, ou encore Valorisaction et on est en business ! On a une solution pour les matières récupérées non recyclables qui allégera du même coup le fardeau financier pour les producteurs tout en participant à la transition énergétique ! N’est-ce pas merveilleux ?
Non, vraiment pas. Il ne faudrait absolument pas se diriger dans cette direction en se laissant mener par le chant des sirènes, aussi vertes nous paraissent-elles. Effectuer une transition énergétique c’est également changer nos modes de production et nos habitudes de consommation. On devrait consommer moins d’énergie en consommant plus efficacement celle que nous produisons déjà. C’est exactement la même chose avec nos matières résiduelles : il faut les réduire à la source en s’attaquant prioritairement à nos façons de produire et de consommer.
La façon dont nous consommons au Québec – et dans le monde – n’est pas soutenable. « Nous vivons désormais au-delà d’un espace de fonctionnement durable et nous nous trouvons dans la « zone de danger » d’un changement irréversible du système naturel permettant le maintien de la vie sur Terre. » Ça, ça vient du rapport sur l’indice de circularité de l’économie au Québec publié par Circle Economy et RECYC-QUÉBEC en septembre dernier. On ne peut pas parler ici d’un brûlot anarchiste.
Je crois que nous devons cesser de nous convaincre du bien-fondé de procédés qui ne font que nous encourager à consommer et à gaspiller davantage sous couvert d’une nécessaire transition énergétique.
Trouver des solutions à des problématiques environnementales n’est pas toujours la chose à privilégier. Il faut travailler à éviter ces problématiques d’abord et avant tout.
[1] Marc Allard, Le Soleil de Québec, Québec veut vendre de l’électricité à Hydro avec son incinérateur, 17 octobre 2024.
Éditorial paru dans l’infolettre de février 2025